La maison de mes parents de Benoit Linder, cela se reçoit comme une sonate d’automne, un voyage qui ramènerait Ulysse en son Ithaque natale, après des années d’errance. Rien n’a changé. Ici tout semble figé depuis l’enfance. Le mobilier, le papier peint, la toile cirée, les bibelots, les outils de jardin, et le jardin lui-même sont restés en l’état. Ils sont datés, ils ne sont pas d’aujourd’hui, ils remontent à un demi-siècle en arrière, aux années cinquante probablement qui ont largement débordé sur la décennie suivante quand, à son terme, est né Benoit.
Ses photos reconstituent un itinéraire, le sien, et davantage encore celui de ses parents qui ont habité la maison, qui lui ont donné une âme. Son cadrage serré a éliminé tout ce qui est superflu, tout « le moderne » qui s’est rajouté par la suite. C’est de trace ou d’empreintes qu’il est question d’ici. Un retour aux sources. Un pèlerinage en somme. La traque d’un cadre et d’une atmosphère. D’une maison modeste et bien tenue. Avec un jardin luxuriant l’été et au repos l’hiver. Une quête quasi archéologique où l’on voit au milieu d outils amoncelés émerger le contour fragile et furtif d’un vélo d’enfant. Tout cela parait loin et pourtant tout est proche. Sur le rebord d’une fenêtre, un chat. Sur l’évier la vaisselle vient à peine de sécher, sur la cuisinière une poêle prête à servir. La maison vit, le temps est suspendu.
Ces photos-là ne sont pas des photos d’album qu’on feuillette en égrenant la litanie chronologique des anniversaires et des fêtes familiales. Ce sont des photos qu’ on « range » dans des boites, des boites à chaussures, comme on faisait alors. A l’intérieur, rien d’ordonné, rien de classé non plus. Elles sont là pêle-mêle et permettent, au nom d’une absolue liberté, toutes les combinaisons possibles. Une boite de photo c’est comme le grenier de notre enfance, elle a son mystère et sa logique propre. Quand on l’ouvre, les photos s’offrent à vous. On les prend en main, au hasard, on les touche, on les sort, une relation personnelle et sensuelle s’installe, on les repose, on ferme la boite. La prochaine fois l’ordre sera différent, mais la sensation sera la même.
On ne regarde pas ces photos, mais on communie avec elles. Car cette boite-là n’est pas une boite comme une autre, c’est un coffre à trésor, un sanctuaire, un tabernacle. Sa fonction est identique aux autels portatifs qui accompagnaient, au Moyen-Age, le pèlerin. Elle protège et rassure, elle dit l’origine et la filiation, elle identifie et sacralise. Elle renferme en elle le mystère de la vie, elle est notre berceau, notre incunable. Certes, on peut en sortir les photos, on peut les montrer fugacement aux autres le temps d’une exposition, mais ce n’est pas là leur place définitive. C’est en leur écrin, dans la boite qu’elles vivent et qu’elles font vivre leur détenteur. Relique et viatique à la fois.
Benoit Linder nous ouvre son univers intime. Il en restitue l’éphémère beauté en utilisant volontairement le procédé fragile et désormais daté du polaroïd. Il fait preuve, ici aussi, d’un immense talent.
Gabriel Braeuner, mars 2013
Exposition Benoit Linder, galerie Continuum à Strasbourg, avril 2013