Impressions premières
Ce fut une première : je n’avais jamais participé au colloque bisannuel que les Amis de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat consacrent à l’humanisme. Il est vrai que je suis un Sélestadien de fraîche date. C’est à peine une excuse. A dire vrai, comme beaucoup d’Alsaciens, j’en ignorais longtemps l’existence. Nous en sommes pourtant à la quatrième édition, la première ayant eu lieu en 2007. La discrétion apparente qui entoure sa tenue, en dehors des spécialistes, interroge. Elle est inversement proportionnelle à la qualité de son contenu. Ne voyez dans ce constat aucune forme de repentance ou de Wiedergutmachung décidée à rattraper avidement aujourd’hui ce qu’on a si superbement ignoré hier, mais une observation objective basée sur la lecture des actes des colloques précédents et sur ma participation à la présente édition.
Il faut se méfier du zèle des néo-convertis. Ils ont parfois tendance à en faire de trop. Mais il me semble qu’ils ont le droit de trouver admirable une manifestation qui rassemble pendant toute une journée, un samedi de mai, environ cent personnes, dans la salle Sainte-Barbe de Sélestat, sur le thème « Humanisme et Religion ». Bel engouement – local surtout- pour un sujet dont on pouvait craindre a priori, vu de l’extérieur, au pire, qu’il fût un peu tendance, au mieux, parfaitement fourre-tout et en tout cas, dans son énoncé même, un excellent sujet pour candidat au bac philo.
Il n’en fut rien heureusement. La qualité des intervenants fut à la hauteur du sujet et de la minutieuse préparation de François Heim qui fut l’âme et la cheville ouvrière du colloque depuis l’origine et qu’on ne remerciera jamais assez pour la qualité du travail accompli au moment où il décide de passer la main. Il suffisait de se souvenir du thème du précédent colloque, il y a deux ans, «Humanisme et Education», pour souligner et la logique et la congruence d’une démarche qui réunit l’humanisme à deux de ses composantes majeures. L’humanisme qui nous relie au Sélestat d’Erasme, de Wimpheling et de Beatus Rhenanus reposait déjà sur les piliers de la foi et de l’éducation.
L’humanisme, depuis lors, a a élargi son territoire à d’autres géographies intellectuelles, à d’autres religions que le christianisme, à l’absence de religion même tant est que l’humanisme athée s’est rajouté depuis longtemps à la grande famille de l’humanisme. On savait depuis quelques temps déjà qu’il y avait plusieurs demeures dans la maison du père.
De cela, malgré sa richesse, le colloque donna une image imparfaite. A côté des savants représentants de la religion du Livre, bien présents tout au long de la journée et tous unanimes à nous rappeler les liens étroits entre humanisme et foi, on eût aimé entendre, cette autre voix qui est aussi une voie, celle de l’humanisme qui est sortie des églises, qui s’est éloignée de Dieu. Et que Camus, dont on fête le centenaire de la naissance, traite dans la Peste à travers la question de Tarrou : « Peut-on être un saint sans Dieu, c’est le seul problème concret que je connaisse aujourd’hui » et la réponse de Rieux: « Je n’ai pas de goût, je crois, pour l’héroïsme et la sainteté. Ce qui m’intéresse, c’est d’être un homme. » Si ce débat n’eut pas lieu, la faute n’en incombe nullement aux organisateurs qui avaient invité le philosophe André Comte-Sponville pour exprimer le point de vue de l’humanisme athée. L’affaire capota au dernier moment. Dommage pour la richesse du débat mais cette défection n’altère en rien l’excellence d’une journée, intellectuellement riche, brillante le plus souvent, ardue même quand s’exprimait « le désir naturel du surnaturel ». Mais rassurez-vous, très concrète et «incarnée» également à travers l’évocation de la figure d’Albert Schweitzer, qui un siècle auparavant, en 1913 justement, prit le chemin de l’Afrique dans une démarche à la fois spirituelle, éducative et humanitaire. L’Alsacien Schweitzer, le dernier de nos humanistes ? En tout cas, l’un des rares contemporains à répondre à cette belle et très « humaniste » définition de l’homme selon Goethe :
« A toi-même sois fidèle et fidèle à autrui
Et que la peine que tu donnes soit de l’amour
Et que la vie que tu mènes soit action »
C’est tout cela que nous offrit cette belle et érudite journée. Aux impressions premières, s’ajoute désormais une envie forte de voir ces rencontres bisannuelles continuer à vivre, à croître, à s’enrichir. Sélestat dispose en la matière d’une véritable pépite, un secret bien gardé. Trop bien gardé ? Les rencontres sélestadiennes mériteraient de devenir le lieu de rassemblement « humaniste » de l’Alsace entière et pourquoi pas de toute la région du Rhin supérieur. Un juste retour aux sources en somme.
Gabriel Braeuner
Association des Amis de la Bibliothèque de Sélestat.