Comment vous résumer chers amis bénévoles, comment vous décrire, comment vous dire merci ?
Sinon par un poème pardi
« Je n’ai que deux mains (habitées par l’esprit) ou le pouce
rejoint les quatre doigts, je repousse, étreins, malaxe, serre
la gluante et coupante matière. Du bout des doigts
je fixe le joint au bois, force le fer et le tords,
une figurine en terre qui traversera les siècles. Pour rien.
Comme un cadeau de ma pogne
de géant je brise l’atome et pilant mon regard dans le télescope,
je le jette
aux étoiles. C’est fête là-haut. Puis je lisse le ciel avec la paume
de ma pensée.
Je bâtis mon berceau et ma bière, où je dors
je fais de l’or, du feu
je mets mes yeux à la poupée de mon enfant
je dessine une femme nue sortant de l’onde
ou des hiéroglyphes sur un temple. Ou un bison
j’émets des sons, devise avec de petits pâtés
ronds et une queue qui pend sur la portée
je caresse mon aimée, je panse l’inconnu blessé,
je pense avec mes doigts.
J’écris mon nom sur la plage, sur la page du monde, fils de Roi
je vous offre ( de ma main à votre main)
un rose qui va mourir. Je n’ose vous en dire davantage,
je fais tout cela pour rien.
Jean Mambrino (1923-2012), Homo benevolus extrait de L’odyssée inconnue
… poète et jésuite.
J’aime ce rien qui nous motive. On nous dit que le bénévolat est en crise, on dit qu’on trouve de moins en moins de gens prêts à donner un peu de leur temps. On nous dit que c’est la faute à la misère et à notre temps. On nous dit individualiste et consommateur compulsionnel, autiste au monde, et que sais-je encore et je vois qu’à Espoir, la bien nommée, on affiche au 31 décembre dernier, date de référence, le nombre de 252 bénévoles avec 35 nouveaux candidats cette année-là. Et que pour le premier trimestre 2014, Ghislaine a déjà rencontré une trentaine de personnes. En trois mois !
Quand on leur demande à ses primo arrivants du bénévolat, ces candidats à l’aventure quelle est leur motivation, ils nous répondent qu’ils veulent offrir de leur temps libre et donner un sens à leur vie autre que familiale et professionnelle.
Donner un sens à leur vie. Tout ne serait donc pas désespéré. Point de nihilisme, point d’abattement chez eux, l’espérance malgré tout et l’espoir au bout de la route parce que peut-être leur engagement ajouté à tous les autres engagements, même s’il n’est qu’une goutte d’eau dans la l’océan de la misère, aura contribué à améliorer, oh un petit peu, la situation des plus démunis.
Se dire, qu’année après année, la charte d’Espoir a quand même été lue et même entendue : Reconnaître en tout homme un être capable d’aimer et digne d’être aimé… faire surgir l’amour à la place du jugement et de la répression » cela veut apparemment, pour certains encore dire, quelque chose. Soyons impudique un bref instant. Ce furent ces mots-là qui furent à l’origine de mon engagement de bénévole à Espoir. Mais on n’ est pas bénévole tout seul. On l’est parmi d’autres et des plus méritants encore, et des plus anciens assurément qui le sont depuis tellement plus longtemps.
On ne fait pas du bénévolat parce qu’on est pharisien ( « quand tu fais l’aumône que ta main droite ignore ce que fait la main gauche »). On n’ attend aucune rétribution, ce serait le comble ! On fait ça pour rien, comme dit le poète, et l’on s’aperçoit qu’on est payé en retour au centuple. Exemple personnel et vécu : Notre quarantième anniversaire, ce programme d’abord théorique puis progressivement incarné, grâce à l’engagement de tous ceux que nous avons sollicités. Des artistes de talents, des connus et des consacrés. Il y en pas un qui a refusé. On les pense égoïstes, les yeux rivés sur leur carrière et leur agenda promotionnel et on les découvre présents, solidaires, fraternels. Vous me direz qu’on n’a pas pris de risque, que ceux que nous avons choisi étaient peu ou prou des compagnons de route, que n’importe comment ils partageaient nos valeurs. Peut-être, mais nous n’étions assurés de rien, nous ne savions pas comment ils avaient évolué et connaissant une gloire récente ou perpétuant une gloire déjà ancienne avaient- ils encore gardé une âme militante, avaient-ils encore du temps pour nous, pour les accueillis d’Espoir, les salariés, les bénévoles, la population colmarienne qui nous a suivi. Ils avaient peut-être dans leurs agendas des sollicitations plus prestigieuses et des lieux de destination plus people que Colmar certes « belle et plaisante cité » comme on disait d’elle au XVIIe siècle mais quand même…
Le bénévolat a probablement encore de belles pages à écrire. Nous devrions nous en réjouir. Le travail accompli par les bénévoles d’Espoir est tout simplement admirable. Parce qu’il est régulier et durable : 22 345 Heures en 2012 soit 12 ETP ! ce travail comme vous le savez est indispensable dans les services pour accueillir et accompagner les personnes. Vous en connaissez le territoire : les actions associatives (la revue, les animations scolaires, l’atelier d’écriture en maisons d’arrêt et les expositions qui les accompagnent, la médiation pénale, le groupe Flora qui intervient auprès des personnes prostituées, l’administration, l’alphabétisation, les comités de pilotage, Les ventes et appels de dons. Mais aussi les interventions dans les structure, au CAVA et la boutique du Petit Bazard, admirable et créative, vitrine de notre association où des milliers d’heures sont consacrées à transformer le vil objet, l’objet banal en objet d’art, preuve d’un savoir-faire de vrais professionnels.
Voilà, c’est fait, j’ai utilisé le terme de professionnel pour qualifier non seulement les bénévoles qui partout apportent leur savoir-faire issu de leur vie antérieure ou parallèle, mais surtout les salariés d’Espoir, un peu plus d’une soixantaine,qui accompagnent professionnellement les personnes accueillies et animent, gèrent et font tourner nos structures. Soit une addition de compétences théoriques et pratiques sans lesquels l’entreprise Espoir ne saurait fonctionner. Il ne s’agit pas de leur rendre hommage uniquement pour se donner bonne conscience mais il s’agit de reconnaître que sans eux, la boite ne saurait tourner. Vous avez bien entendu la boite. Et c’est bien-là l’originalité et parfois l’ambiguïté de notre mouvement à la fois association et entreprise.
On n’anime pas l’un comme on gère l’autre. Avec la meilleure des volontés possibles. Les logiques de fonctionnement dans les deux cas diffèrent. A la liberté associative, ou supposée telle, où la parole est reine, la capacité d’indignation exprimée et la parole prophétique revendiquée et assumée, s’opposent des règles de fonctionnement législatives, règlementaires, administratives et comptables. En un mot on peut peut être dire n’importe quoi mais on ne peut pas faire n’importe quoi.
L’historien que je suis peux rendre compte de l’évolution d’Espoir en 40 ans. Je vous ai dit l’année dernière que nous pensions faire en 1973 un rapide CDD et que nous sommes depuis lors en CDI pour longtemps. Nous sommes probablement les seuls à nous plaindre de cet état de fait. Quel est le CDD dans ce pays qui ne rêve pas d’un CDI ? 40 ans après notre naissance, nous sommes toujours hélas indispensables. Les précarités, marginalisations et exclusions ont dramatiquement augmenté. On s’aperçoit aujourd’hui que les trente glorieuses auxquelles nous nous sommes identifiées comme si elles devaient être éternelles sont une parenthèse de l’histoire. Une de plus qui n’est pas prête de se rouvrir. Autrement dit, il faut apprendre à vivre avec la crise. Ce qui suppose qu’à Espoir aussi on réfléchisse, et c’est parti, à la façon d’évoluer le plus professionnellement possible sans pour autant renier nos vertus et références fondamentales à l’incontournable et toujours exemplaire charte d’Espoir.
C’est un vaste chantier, pas si incongru que cela au regard de 40 ans d’existence. En 40 ans ce n’est pas seulement la situation économique et sociale qui a changé, c’est aussi toute l’armature technique et juridique qui s’est enrichie, densifiée, complexifiée même. S’il nous faut des bénévoles, il nous faut aussi des professionnels diplômés, compétents et actifs. Il faut que ces deux mondes se rencontrent, s’apprivoisent, dialoguent, se comprennent et comprennent surtout comment fonctionne l’autre. Un simple constat : le comité, l’organe politique au sens de l’orientation de notre organisme, celui qui fixe les lignes, détermine les moyens, tranche et décide, est à côté de quelques rares membres fondateurs du canal historique d’Espoir essentiellement composé de membres bénévoles et souvent récents, dont la formation initiale et continuée devient impérieuse afin que collégialement puissent être pris les bonnes décisions en parfaite connaissance de cause. Toute indignation mérite l’écoute, mais toute décision implique des conséquences.Vaut mieux, sans nous substituer à l’expertise des responsables salariés, savoir de quoi on parle et le savoir bien.
C’est que les temps ont changé et la gouvernance d’Espoir doit être également source de questionnement. Nous ne sommes plus en 1973 et ceux qui vous ont passionnément et fidèlement servi ont blanchi sous le harnais et s’interrogent légitimement sur la meilleure et plus efficace façon de passer le témoin et d’assurer la relève. Je vous rassure, ils s’y emploient et cela phosphore dur ces derniers temps.
Chers amis, bénévoles et salariés, seuls nous ne sommes rien. La solidarité doit être notre credo et la collégialité aussi bien chez les politiques que les salariés, notre mode de fonctionnement. Homo benevolus et homo faber, nous sommes appelés à continuer à cheminer ensemble. Pour la plus grande gloire d’Espoir et à titre individuel pour notre bien à tous. Cela pourrait être une formule de jésuite !
Vous savez bien que « le poète a toujours raison et qu’il a le futur pour horizon » C’est Aragon cela…
Tant de sentiers
un seul passage
plus mince que le fil de feu
le tranchant de la brise
Ce n’est pas Aragon ni François Cheng, même si cela lui ressemble, non, c’est toujours en encore Jean Mambrino, extrait de l’Oiseau Coeur, (1979).
Prière à Phil :
Dessine nous pour Espoir un oiseau de coeur !
Gabriel Braeuner, Assemblée générale de l’Association Espoir, avril 2014