Il sont deux à se partager la paternité de l’extraordinaire aventure humaniste qui eut Sélestat pour cadre au XVe siècle : Jean de Weshuss, curé de la paroisse de Sélestat et Louis Dringenberg, le maître de l’école latine, qui en fit un établissement de premier plan où l’on tenta de (bien) former d’excellents chrétiens. Fidèle à l’exemple des Frères de la vie commune de Deventer, un foyer ardent de spiritualité chrétienne qui prônait la pauvreté, à l’image de celle du Christ, et les bienfaits de l’éducation.
Jean de Westhuss, le curé visionnaire
Hormis les spécialistes, qui connaît Jean de Westhuss ?Il avait été curé de Sélestat de 1423 à 1452, date de sa mort. Issu de la famille de Westhausen qui possédait des terres à Sélestat, rien ne le destinait à la célébrité. Il aurait pu, comme beaucoup de ses pairs, s’acquitter mollement de sa charge pastorale dans une Église en crise qui avait, depuis 1431, réuni à quelques lieues de là un nouveau concile. Dans un climat délétère où les pères du concile s’étaient longtemps opposés au pape. Pendant ce concile interminable qui dura dix ans et se transporta successivement de Bâle à Lausanne, puis à Ferrare et enfin à Rome, Jean de Westhuss vivait la crise de l’Église sur le terrain. Où les prêtres étaient mal formés, les ouailles ignares, les écoles médiocres et les maîtres mal payés.
Le curé de Sélestat était convaincu que seul un enseignement de qualité était capable de faire progresser les chrétiens sur le chemin de la foi et de la pratique. Son école paroissiale ne brillait guère par l’esprit. Il s’en émut, s’en ouvrit à ses proches et se mit en quête de trouver un pédagogue digne de ce nom. Capable de transmettre un savoir solide pour faire de ses élèves de bons chrétiens.
Des jeunes Sélestadiens qui fréquentaient l’Université de Heidelberg lui recommandèrent l’un de leurs aînés, un certain Louis Dringenberg, originaire de Westphalie. Il fit l’affaire, prit la direction de l’école à partir de 1441 et débuta cette merveilleuse et grande aventure humaniste qui fit et fait encore la réputation de Sélestat.
Jean de Westhuss ne s’arrêta pas la. Il installa l’école paroissiale dans les bâtiments de l’ancienne Oeuvre Notre Dame à proximité de Saint-Georges. A sa mort, en 1452, Il légua l’ensemble de sa bibliothèque à la fabrique de l’église. Par ce geste, il donna une impulsion décisive à la constitution d’une bibliothèque paroissiale, celle de l’école latine, l’autre pilier, à côté de celle de Beatus Rhenanus, de notre Bibliothèque Humaniste. Son exemple fit des émules, d’autres bienfaiteurs suivirent son exemple.
On estime sa donation à une trentaine de volumes au contenu essentiellement religieux. Il était prêtre après tout. Un prêtre resté exemplaire dans une Église tourmentée. Ce qui est tout à son honneur.
Louis Dringenberg, « l’apôtre de la jeunesse »
Il fut le premier maître de l’école paroissiale qui acquit la notoriété. Né dans le diocèse de Paderborn vers 1410, il aurait fréquenté l’école du Mont Sainte-Agnès , près de Zwolle au Pays-Bas. Celle-ci avait été fondée par les Frères de la vie commune de Deventer, un foyer ardent de spiritualité chrétienne du Nord de l’Europe. C’est à Heidelberg qu’il poursuivit ses études à partir de 1430. En 1432, il est bachelier. Deux ans plus tard, il obtient le grade de maître ès art. On suppose qu’il étudia la théologie par la suite.
Toujours est-il qu’il apparaît à Sélestat en 1441 pour prendre le poste de maître d’école à la demande du curé Jean de Westhuss. Le poste était devenu vacant. Son prédécesseur venait d’être renvoyé pour s’être battu, à coups de hache, avec un tailleur de pierre véhément nommé Jean de Spire…
Quand il vint à Sélestat, il ne s’attendait pas à y rester 36 ans, de 1441 à 1477. Jean de Westhuss l’installe dans le locaux de l’oeuvre Notre Dame et lui confie non seulement les élèves de l’école mais aussi la direction du chant sacré lors des offices dominicaux et des jours de fête. Dringenberg est un excellent pédagogue mais également un chrétien fervent ! Il disposait des qualités requises pour aider à « réformer » par l’enseignement. En bon humaniste, il cultivait l’amour des belles lettres et le retour aux sources antiques sans que sa foi ne fût prise en défaut. Il n’omit pas d’enseigner aussi les pères de l’église. Rappelons que l ’humanisme de cette époque est un humanisme chrétien. Celui qu’embrassera le grand Érasme de Rotterdam ( 1469-1536) un peu plus tard. Avec des préoccupations identiques : Former les chrétiens par l’éducation selon sa belle formule « L’ homme ne naît pas homme, il le devient ».
C’est exactement ce que tenta Louis Dringenberg. Avec succès ! L’illustre Jacques Wimpfeling, sélestadien d’origine et pédagogue de renom, que nous présenterons ultérieurement, lui rendit un bel hommage « L’éducation fut la passion de cet apôtre de la jeunesse et l’Alsace lui est redevable d’une partie non négligeable de sa culture… Tous ont été remarquablement instruits dans les connaissances élémentaires de la grammaire sans qu’on leur ait ingurgité les gloses et les commentaires de Donat et d’Alexandre. De ses livres, Dringenberg ne prenait que ce qui était utile et nécessaire à l’enseignement de ses élèves ».
Il était resté fidèle aux préceptes des frères des la vie commune qui condamnait la science vaine, celle qui gonfle l’esprit sans la fortifier.
Pour en savoir plus :
Paul Adam, L’humanisme à Sélestat. L’école, Les Humanistes, La Bibliothèque. Sélestat, 1962-2001.
Paul Adam, Il y a cinq siècles, en 1477, mourut à Sélestat Louis Dringenberg, père de l’humanisme alsacien, Annuaire des Amis de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat, 1977.
Gabriel Braeuner, Au coeur de l’Europe humaniste, le génie fécond de Sélestat, Editions du Tourneciel, 2018.
Francis Rapp, l’École humaniste de Sélestat, Saisons d’Alsace, 1975
Gabriel Braeuner, DNA de Sélestat du 11 janvier 2020, Extrait de la rubrique » ces hommes et ces femmes qui ont fait l’histoire de Sélestat