Dans le cadre de notre projet de (re)découvrir ensemble Martin Bucer, le plus illustre des Sélestadiens, mais de loin pas le plus connu d’entre eux, je vous avais présenté les grandes lignes de sa biographie, l’an dernier, à la même époque, autour de la Saint-Martin. Une date que nous ne pouvons manquer puisque elle est à la fois celle de son anniversaire – il est né le 11 novembre 1491 – et celle où l’on célèbre l’un des saints les plus connus de l’Occident chrétien, celui de Martin de Tours, Martin le miséricordieux qui partagea son manteau avec un pauvre et qui était né dans la lointaine Pannonie, aujourd’hui Hongrie.
Nous nous étions promis d’approfondir davantage encore le portrait de notre Martin sélestadien, de décrire les riches et contrastées heures de sa vie pour mieux cerner le rôle qu’il joua dans l’histoire, non seulement de l’Alsace, mais également du Saint Empire, et partant, d’une partie de l’Europe dans la construction difficile mais exaltante de la Réforme dont nous fêterons l’année prochaine le point de départ : 1517, quand à Wittenberg, Luther afficha ses 95 thèses contre les indulgences, n’imaginant pas un seul instant l’ébranlement et la déflagration que son geste allait provoquer dans l’Occident chrétien.
Point de Réforme sans Bucer mais ce Bucer-là quelle fut son histoire première ? D’où vient-il, qui fut-il avant de devenir le patron de l’église strasbourgeoise et le grand arpenteur des terres germaniques et même anglaises pour, à la fois, défendre et développer le mouvement réformateur. Autrement dit, il y a une histoire avant l’histoire, un Bucer avant Bucer, celle d’un gamin, fils et petit fils de tonnelier, élevé par un grand père démuni qui remplaça difficilement des parents absents ; jeune dominicain, mal à l’aise dans un ordre mendiant autrefois prestigieux qui avait cessé d’être exemplaire, et que le hasard des tribulations plaça sur le chemin de Luther, moine augustin en rupture de ban, rencontre dont il ne se remit jamais; prêtre bientôt défroqué et vite marié qui erra quelque temps avant de se fixer à Strasbourg pour commencer sa vraie vie, à 33 ans quand d’autres l’achèvent…
La tranche de vie de Bucer, que je vous présente aujourd’hui, s’étend de 1491, où il naît à Sélestat, et 1523, où il se réfugie à Strasbourg. Quelques décennies donc, soit les années de jeunesse et d’apprentissage qui forgent un caractère et scellent un destin. Je vous ai, l’année dernière, conté combien cette période fut déterminante dans l’histoire de notre civilisation et culture. Je n’y reviendrai pas et me contenterai juste de me pencher sur son année de naissance, 1491, qui est aussi celle d’Henry VIII d’Angleterre, futur fondateur de l’église gallicane, et celle d’Ignace de Loyola, qui créera la société de Jésus et qui sera l’ardent artisan de la Contre-Réforme. Un an plus tard, Christophe Colomb allait découvrir les Indes Occidentales, près des côtes de l’Amérique, Alexandre VI de la famille des Borgia devenir Pape et les Espagnols conquérir le royaume maure de Miranada, y installer l’inquisition et expulser les Juifs…
Ces années-là étaient particulièrement agitées. Tout au long des XVe et XVIe siècle, les guerres, la famine et les épidémies font rage. La menace turque pèse sur l’Europe et inquiète les esprits. Le péché, en cette période de troubles, serait-il, aux yeux de la population, responsable des calamités qui affligent l’humanité? Les hommes se conduisent honteusement, l’église étale ses richesses et les moines leur oisiveté alors que la misère croît. Le moment n’est-il pas venu de changer de comportement? L’humanité est-elle arrivée à son terme? Ils sont nombreux à penser, tout comme ce jeune moine augustin dénommé Martin Luther, que la fin des temps est proche.
La ville de Sélestat, si forte, si fragile
La ville où il naît, où il passe son enfance n’est pas la ville la plus importante de l’Alsace, loin de là. Mais elle n’est pas la moindre non plus. Gros bourg rural, fort de 4000 personnes environ, enserrée dans ses trois enceintes dont la dernière est achevée vers 1425, agricole et artisanale comme la plupart des autre villes de la décapole, cette alliance défensive de dix villes alsaciennes, pour la plupart nées au XIIIe siècle, dont elle fait partie depuis 1354. Assurément champêtre, adossée au pied du Haut-Koenigsbourg qui domine la plaine, si l’on examine la gravure plus tardive de Sebastian Münster dont la Cosmographie date du milieu du XVIe siècle, Sélestat apparaît, telle que nous la connaissons encore « située au milieu du pais d’Alsace en fort bon lieu. »Sa situation centrale est (déjà) un atout. La Décapole s’y réunit, elle couvre un territoire large qui va de Wissembourg à Mulhouse, elle y laisse même ses archives. A défaut d’être l’aiguillon d’une alliance où Haguenau pour des raisons d’ancienneté et Colmar, déjà fort habile diplomatiquement, jouent les premiers rôles, elle en est la mémoire, ce qui convient assez bien à son caractère.
Non, elle, elle excelle ailleurs, dans l’éducation et la formation de futures élites intellectuelles. Son école latine, depuis quelques décennies et pour quelques décennies encore, attire des élèves de toute l’Alsace, des jeunes d’outre-Rhin et de la Suisse du nord-ouest. Elle est paroissiale et humaniste, cultive l’amour des belles lettres, de l’éloquence, encourage le retour aux sources antiques, par la connaissance et l’analyse critique, veille par l’exemple, la conviction et la foi de ses enseignants à former de bons chrétiens. Comme la majorité des tenants du Früh-Humanismus, elle sent et sait que la réforme nécessaire de l’église, qui s’égare, passe par une transformation des cœurs et des comportements ainsi que par l’éducation de ses ouailles, prêtres y compris.
Le Sélestat réel n’est pas celui de l’école aussi rayonnante soit–elle. Traversée par de nombreux ruisseaux, elle fait parfois songer à la Hollande si l’on suit Beatus Rhenanus qui la considère cependant davantage comme une place forte plutôt qu’une ville. Sont-ce ses nombreuses tours, portes, enceintes et cours d’eau que la reconstitution, datée de 1915, d’Alexandre Dorlan, de Sélestat à la fin du XVIe siècle illustre, qui lui donnent cette image ?
Celle-ci au moment où Bucer y voit le jour est plus friable. Son économie stagne. La navigation sur l’Ill, qui avait contribué à son développement, décline de même que les activités portuaires au nouveau Ladhof, à l’ouest de la ville qui remplace l’ancien, tout proche, mais ensablé, depuis le milieu du XIVe siècle. On s’est réorienté vers un commerce de proximité avec les communes voisines. Son vin s’exporte moins qu’autrefois. Le climat, la terre humide n’y sont pas étrangers. A la stagnation économique correspond un mal-être social. Comme ailleurs, à côté d’une minorité de négociants et de marchands qui s’en tirent correctement, occupant en outre les postes du gouvernement municipal, la majorité s’est appauvrie. Le système corporatif s’essouffle. Il corsète la vie économique, encadre quand il n’empêche pas les initiatives et limite l’ascension sociale. Les compagnons deviennent de moins en moins maîtres. Que dire de l’espérance des apprentis d’aboutir au sommet de l’échelle sociale ?
La société sélestadienne n’est pas homogène. Ni égalitaire malgré les apparences. A côté des bourgeois, propriétaires de leur habitation et disposant de quelques ressources financières, capables de soutenir la banque de change locale, voici les demi-bourgeois, les Soldner comme on les appelle ici. Citoyens de second rang si l’on peut dire. Les tensions à l’intérieur de la cité ne sont pas rares. En 1493, Hans Ulmann, pourtant membre du patriciat local est le grand animateur du mouvement d’insurrection et de contestation sociale sinon révolutionnaire du Bundschuh, préfiguration régionale de la Guerre des Paysans qui affecta durablement les consciences et marqua la mémoire collective par sa violence et la fin brutale et tragique de ses acteurs.
Une jeunesse pauvre et studieuse
C’est au milieu d’une couche sociale déclassée que naît Martin Bucer. Son père, Claus, est tonnelier comme l’est le grand-père. Ils n’ont pas la pleine citoyenneté parce que trop pauvres. La tonnellerie ne nourrit plus son homme. Nous avons vu que les vins de Sélestat ont perdu de leur attractivité. Pour vivre et survivre, il faut aller voir ailleurs, aller vers la grande ville, en l’occurrence Strasbourg où s’établissent, dans premières années du XVI e siècle, les parents de Martin, laissant ce dernier aux bons soins d’un grand père, certes aimant- du moins on l’imagine- mais désemparé. De la mère de Martin, nous ne connaissons rien. Bucer n’en parle jamais. La tradition en fait une sage femme qui se serait appelée Eva mais, là aussi, cela reste à prouver. Nous savons juste qu’elle mourut avant son mari, celui-ci apparaît dans un document de 1538 remarié avec une certaine Margaretha Windecker.
Les fées qui se sont penchées sur le berceau de Martin ne sont pas celles qui se penchèrent sur celui de Beatus Rhenanus dont le père était un boucher qui avait fait fortune, notable reconnu et agissant – il fait partie du gouvernement municipal – et dont la fortune permettra à son fils de faire de confortables études à Paris plus tard et amorcer la constitution de son impressionnante bibliothèque aujourd’hui reconnue par l’Unesco.
Qui conseilla le grand-père dans l’orientation à donner à la vie du jeune Martin ? Avait-il d’ailleurs besoin de conseil ? L’inscrivit-il à l’Ecole latine – il semble que le père fut à l’origine de cette inscription- avant de le placer dans le couvent des dominicains, dont la qualité de l’enseignement était reconnue, mais pas davantage que celle de l’école latine ? Le destinait-on déjà à la prêtrise par conviction ou parce que l’église seule permet aux pauvres une ascension sociale appréciable ? S’y destinait-il lui-même, touché par une vocation précoce ? Quelle fut la part du jeune Martin dans ce choix. Les parents, désormais éloignés à Strasbourg, eurent-ils leur mot à dire, où laissèrent-ils filer, s’en remettant à la décision qui ne pouvait être que sage du patriarche ?
Reconnaissons que cette partie de la vie de Bucer reste bien floue. Nous émettons plus d’hypothèses que nous avançons de certitude. La vraisemblance et la tradition veulent qu’il ait été élève de l’Ecole latine. L’hypothèse est plausible. On rentrait effectivement à 6-7 ans à l’école pour en sortir vers 15. Mais nous n’avons aucune trace écrite, aucun document attestant qu’il en fut ainsi avec Martin. Sa vie officielle, celle que l’on écrit, donne l’impression de commencer quand il entra dans le couvent des dominicains de Sélestat en 1506/1507 – Voyez combien nous restons imprécis.
Mais voilà qu’à l’automne 1507, il est ordonné acolyte au couvent de Strasbourg, puis diacre, au même endroit, trois années plus tard. Le premier grade permet l’accès aux études de théologie. A-t-il été remarqué, montrant des dispositions réelles pour les études théologiques dont à l’intérieur des couvents des dominicains, on sait qu’elles sont réservées aux futurs professeurs ? Aurions-nous là les ingrédients d’une carrière toute tracée, un cursus dominicain où les études sont nécessaires et solides depuis que Dominique les fonda en 1216 pour défendre la vraie foi et extirper l’hérésie ?
Le couvent de Sélestat, au milieu de la constellation des couvents de l’ordre des frères prêcheurs en Alsace depuis le début de l’aventure des ordres mendiants, possède encore quelques solides atouts. Fondé en 1282 dans notre ville, Il s’est réorganisé au début du XVIe siècle, adoptant non sans mal et tardivement, en 1507, la réforme de la stricte observance. Il a conservé une réputation solide et a été dirigé épisodiquement par des prieurs qui ont fait carrière. Ainsi Henri Institoris ou Kraemer, prieur de 1482 à 1486, qui enseigna à Augsburg, Salzburg et Venise, davantage connu comme inquisiteur pour l’Allemagne supérieure et pour sa hargne dans sa lutte acharnée contre les sorcières.
On s’accorde à dire que le couvent de Sélestat, possédait une bibliothèque bien fournie, suffisamment riche, pour permettre à un jeune avide de connaissance de nourrir sa curiosité. Le jeune Martin, en tout cas, s’y enrichit considérablement. Il y découvre entre autres, les écrits d’Erasme de Rotterdam dont on parle beaucoup, à l’extérieur comme à l’intérieur des couvents, dont on sait l’ardeur de vouloir réconcilier les belles lettres et la théologie, dont les Adages – ces commentaires de proverbes d’auteurs anciens- se répandent, dont l’Eloge de la folie, publiée en 1509, connait un succès fracassant et inquiétant, inquiétant parce que cet objet littéraire non identifié interpelle, déclenchant des réactions indignées des gens d’église, de l’université de Louvain et de Paris et de quelques moines espagnols. : Une satire de toutes les folies humaines, un joyeux exercice de style, caustique et piquant où la folie s’exprime à la première personne, une déclaration lyrique exaltant la folie de la croix. De quoi quelque peu secouer les consciences spirituelles, abêties et endormies.
La bibliothèque personnelle de Beatus Rhenanus, d’après l’inventaire que nous en connaissons, daté de 1518, est parfaitement équilibrée entre ouvrages théologiques qui se rattachent à la grande tradition thomiste de l’ordre, et une autre bonne moitié d’ouvrages de rhétorique, d’histoire, de grammaire et de poésie, d’essence indubitablement humaniste.
C’est dans ce milieu que baigne d’abord Bucer pour lequel l’ordre semble nourrir de grands desseins. Il est ordonné prêtre à Mayence, en 1516, sans qu’apparemment cela lui pose le moindre problème. Le voilà envoyé en janvier 1517 à la Haute Ecole de Heidelberg qui conférait le titre de docteur aux membres de l’ordre, leur permettant ainsi, grâce à cette habilitation, d’enseigner dans les facultés de théologie. La voie de frère Martin est sur de solides rails. Il a 26ans.
A Heidelberg, il n’est pas dépaysé. Le couvent n’est pas tout à fait ce lieu de réaction et de conservatisme qu’il accabla, une fois qu’il l’eût quitté. La maison est plutôt accueillante à l’humanisme chrétien. On y serait plutôt favorable aux thèses d’Erasme et à ses émules. Bucer continue à profiter du riche enseignement prodigué par les frères. En bon humaniste, ardent partisan du retour aux sources, il se perfectionne en grec et en hébreu. Il explique à ses jeunes confrères étudiants les psaumes, Pierre Lombard et Erasme, et se prépare lentement et sûrement à une carrière féconde de professeur d’exégèse et d’édition de commentaires bibliques. « Grâce à ses lectures étendues, écrit Jean Rott qui publia une partie de sa correspondance, à son excellente mémoire, à sa performance dialectique et à sa rapidité de réplique, il acquit dans les disputes religieuses, une aisance qui fit de lui un protagoniste tout désigné pour les débats et colloques des années à venir. »(ROTT, 397)
La rencontre avec Luther
Et voilà qu’à Heidelberg, il rencontre les 26 et 27 avril 1518, l’autre Martin, Luther. Il assiste à la fameuse dispute dite de Heidelberg, où le frère augustin Martin Luther, est invité à présenter au couvent local des augustins sa position, après son fameux coup d’éclat du 31 octobre 1517 où il afficha sur l’église de Wittenberg ses fameuses thèses contre les indulgences.
Dès le 1er mai, Bucer rend compte, avec enthousiasme à son ami Beatus Rhenanus de la dispute et de sa rencontre. Il connait à peine Luther et le voilà déjà conquis. Il a dîné avec lui. Il est subjugué. Il vante ainsi sa supériorité sur les contradicteurs de la dispute : « Ils avaient beau s’efforcer de le désarçonner avec leurs subtiles arguties, ils n’arrivaient pas à le faire reculer d’un pouce. Il répond avec une grâce étonnante, il écoute son adversaire avec une patience incomparable, il saisit et dénoue les nœuds des objections avec une subtilité toute paulinienne – pas du tout à la manière de Duns Scot- et par ses réponses courtes, fondées et exclusivement puisées au trésor des Saintes écritures, il suscite l’admiration de tous, ou presque. »(JOISTEN, 31)
L’admiration est réelle, le langage presque amoureux. Luther, qui avait probablement été méfiant vis-à-vis d’un représentant d’un ordre qui continuait à être celui des inquisiteurs, ne fut pas insensible à cette rencontre. Dans une lettre à son ami Spalatin, il en parle ainsi : … c’est sans doute le seul moine sincère de son ordre, un jeune homme qui promet beaucoup. Il m’a accueilli à Heidelberg avec un cœur avide et pur et nous avons pu en parler ensemble. Il est digne d’amour et de fidélité, et aussi d’espoir (JOISTEN, 34)
Il était proche d’Erasme, le voilà désormais acquis à Luther sans renier le premier. Pas encore ! Il leur trouve beaucoup de points communs et un même désir de réformer l’église. Comme bien d’autres, Bucer assimile vite l’exemple et les leçons de Luther. Il a étudié les thèses affichées à Wittenberg. Il a adhéré à la plupart d’entre elles. Il va progressivement et définitivement concevoir, à la suite du moine augustin, que l’être humain est foncièrement pécheur et que seul l’amour inconditionnel et gratuit de Dieu le justifie.
Pour l’heure, il est encore dominicain, convaincu – il n’est pas le seul ;- que l’église pouvait être réformée de l’intérieur en revenant à la Bible, aux pères de l’église, tout en s’appuyant sur l’illustre Thomas d’Aquin, qui fut dominicain avant lui, Erasme qu’il continue de vénérer et qu’il veut même rencontrer à Louvain et Luther pour qui il s’est pris d’une passion intellectuelle et spirituelle subite. Un coup de foudre !
En mai 1520, le chapitre provincial de Francfort-sur-le-Main le confirme comme magister studentium à Heidelberg. C’est une promotion assurément méritée. On n’a rien à lui reprocher. La preuve, on le promeut. La porte du doctorat en théologie lui est ouverte. Mais le monde de l’église est en train de changer. Bucer a eu le temps de s’en apercevoir. Il a voyagé à Francfort en 1518, à Bâle en 1519. On le retrouve plusieurs fois à Spire en 1520, à Francfort et à Strasbourg également. Les écrits de Luther se répandent dans les imprimeries de la région, à Strasbourg notamment où huit d’entre eux sont imprimés en 1518 et une vingtaine en 1520. La dispute de Leipzig en 1519 affiche ses différences de plus en plus marquées avec l’église de Rome. Ses écrits sont autant d’actes de résistance sinon de déclarations de guerre. En 1520, paraissent successivement : An den christlichen Adel deutscher Nation ;Von dem babylonischen Gefängnis der Kirche ; Von der Freiheit eines Christen menschen.
Un divorce progressif
La rupture sera consommée en janvier 1521, le très catholique Charles Quint étant empereur depuis l’été 1518, quand le pape Léon X excommunie Luther et que ce dernier, convoqué à la diète de Worms, en avril, refuse d’abjurer.
Le dominicain Bucer est un témoin privilégié de ces disputes et du divorce qui en découle. Il a suivi la querelle entre Johannes Reuchlin de Pforzheim et l’inquisiteur dominicain de Cologne, le prieur Jakob von Hoogstraten. Le premier voulait conserver les écrits juifs non bibliques, le second actionné par Johan Pfefferkorn, juif converti, aumônier d’hôpital à Cologne, voulait les détruire. La polémique alla jusque à Rome. Elle dura des années. En 1520, le vieil humaniste Reuchlin fut condamné pour protection d’hérétiques. La hargne du dominicain inquisiteur l’avait emporté. Bucer, issu du même ordre, était atterré.
Il commence à parler de sa honte à porter l’habit de son ordre. S’il a longtemps placé Erasme et Luther sur un pied d’égalité, il a très tôt remarqué que ce que le premier insinue, le second l’enseigne ouvertement. Il voit bien que son prieur à Heidelberg est plus érasmien que martinien. En 1520, dans deux lettres adressées à Luther, il les compare encore positivement et se réjouit auprès de Rhénanus de la diffusion des écrits érasmiens. Il donne encore l’impression de pouvoir servir deux maitres à la fois. Ne propose-t-il pas avec l’enthousiasme innocent qui semble le caractériser, en même temps, que l’imprimeur sélestadien Lazare Schürer réimprime le Commentaire sur l’Epître aux Galates qui vient de sortir des presses de Wittenberg ?
Mais l’atmosphère dans son propre couvent change. Il se sent menacé, inquiet même. Ne rédige-t-il pas, peu de temps après avoir rencontré Luther, un inventaire de ses livres qui ressemble étrangement à un testament. Il tient à faire savoir, s’il devait lui arriver malheur, quels furent ses livres. Ses lettres à Beatus ne font pas mystère de son mal-être, de l’attitude hostile de ses frères contre Luther et de leur méfiance à l’égard de lui-même. Les exercices de controverse ou disputes qu’il anime à l’intérieur du couvent sont surveillés et plus grave, désormais contestés. « On me tient presque pour un déserteur » écrit –il en juillet 1519
Il a certes ses détracteurs, il a des appuis aussi, la preuve : sa promotion en 1520. Isolé dans son couvent mais non pas abandonné, aurait-il tendance à succomber à une victimisation quelque peu exagérée ? C’est vrai qu’il est bien seul. C’est vrai que les pratiques inquisitoriales de son ordre –et le cas Reuchlin le confirme- n’ont rien à voir avec l’idée qu’il se fait du christianisme et de l’amour du prochain. Les plus hardis de ses frères dominicains étaient tout au plus érasmiens mais n’éprouvaient aucune sympathie pour les idées de Luther ni pour la personne du frère augustin. Et lui était devenu de moins en moins dominicain à mesure qu’il s’éloignait d’Erasme. Il a beau lui marquer encore quelques marques de sympathie, par respect, en souvenir d’un passé qui les a unis sur le plan intellectuel, mais il est devenu définitivement luthérien. Lorsqu’en 1520, Luther publie son « Manifeste à la noblesse allemande », il s’enflamme, une fois encore, écrivant à Georges Spalatin : « O divin sauveur, c’est la quintessence de la piété ! Il n’y a pas un mot contre lequel je pourrai trouver un argument dans la Bible. Au contraire, cet écrit me renforce dans les convictions que j’avais déjà : cet homme est sans doute aucun, vivifié par l’esprit du Christ et irrésistiblement poussé par lui. »
Sa décision est prise, il quittera l’ordre. Il n’a plus rien à faire avec une communauté qui produit des Hoogstraten. Il se sent d’ailleurs menacé par ce dernier qui serait en possession de lettres où Bucer le met en cause. L’inquisiteur se promet de s’occuper de son sort, dès qu’il reviendra dans le secteur. Il faut donc échapper à son influence et à sa juridiction en quittant tout simplement l’ordre. Il pense pouvoir actionner le réseau d’amis qu’il s’est patiemment constitué ces dernières années. A Bâle, par l’intermédiaire de Beatus Rhenanus, il a pu entrer en contact avec le prédicateur de la cathédrale et théologien Wolfgang Capiton, à Wittenberg avec l’ami proche de Luther, Georges Spalatin, à Sélestat auprès de Wimpfeling pour accéder au diplomate Jakob Spiegel et à Spire chez le vicaire épiscopal Materne Hatten et enfin auprès du chevalier Ulrich von Hutten qui le mène à Franz von Sickingen, tous deux étant des ardents défenseurs de la cause luthérienne. Ce dernier, lors de la controverse avec Reuchlin, avait menacé de prendre d’assaut les couvents des dominicains si l’ordre continuait à persécuter le vieillard de Pfortzheim
La rupture et les années d’errance
Il put enfin être relevé de ses vœux monastiques en avril 1521 après quelques péripéties mouvementées et de discrets appuis. L’évêque de Spire transforma son état en celui de simple prêtre séculier. Il était libre désormais. Son portrait s’est affiné. Nous semblons mieux le connaître. Il a du courage et même du caractère. Passionné certes, capable d’aller au bout de ses idées, mais flexible, et prudent en même temps, voire diplomate avec les puissants. Inquiet, pour ne pas dire angoissé et pourtant résolu. La peur ne l’empêche pas d’aller de l’avant et de rompre des liens qui paraissaient durables. Isolé en apparence et rarement seul pourtant. Il faut quelque talent et une volonté affirmée pour sortir de sa coquille, celui d’un couvent, et tisser les liens qu’il a su tisser en quelques années.
Il a quitté le couvent mais pour aller où ? Il erre, trouve un refuge momentané chez le vicaire épiscopal de Spire, Materne Hatten, rencontre le chevalier Ulrich von Hutten à Strasbourg, actionne ses amis pour sortir de la clandestinité, les harcelant maladroitement, les exaspérant même parce que, insouciant de sa propre personne ; provoquant la colère de Hutten qui l’enjoint de rejoindre l’Ebernburg, le château fort de Franz von Sickingen qui domine la Nahe dans le Palatinat, « l’auberge de justice « selon la belle définition qu’en donna Ulrich von Hutten, l’un de ses hôtes, tout comme Johannes Oecolampade, futur réformateur bâlois, et Caspar Aquila d’Augsburg qui fit ses études à Wittenberg et fut rapidement gagné aux idée de Martin Luther. L’Ebernburg c’est, toute proportion gardée, la Wartburg de Luther. On s’y sent en sécurité. Il peut arriver qu’on s’y sente en prison…
Le propriétaire en est Franz von Sickingen, un guerrier courageux et sans scrupule, spécialiste des coups fourrés et des guerres privées, les Fehde, successivement au service du roi de France et des Habsbourg, porte parole de la petite noblesse en lutte contre la puissance des princes territoriaux, gagné à la cause de Luther par opportunisme et l’influence de son compère, autre reître courageux, mais cultivé celui-là, Ulrich von Hutten qui avait également trouvé refuge dans l’Ebernburg. Hutten, originaire de Hesse, avait fréquenté des universités allemande, autrichienne et italienne, rencontré Erasme, pris position en parfait humaniste contre la scolastique, puis entré au service du cardinal Albrecht de Brandebourg, où il rencontra Sickingen, il bascula dans le mouvement national allemand pour rejoindre rapidement la cause de Luther. .
Voilà quel était l’environnement de Bucer à l’Ebernburg. On y suit passionnément les péripéties qui amènent Luther, à la diète de Worms, où fraichement excommunié par le pape, on le convoque pour l’interroger.et le sommer de se rétracter. Les amis de Luther ont peur qu’il se jette dans la gueule du loup. Ceux de l’Ebernburg sont prêts à l’accueillir dans leur château et envoient Bucer intercepter Luther pour l’inviter à venir se réfugier chez eux. Et Bucer se met en chemin, rencontre Luther à Oppenheim, tente de le convaincre mais échoue. Luther entend bien poursuivre sa route et se défendre envers et contre tous.
Bucer est resté insaisissable. A peine libéré de ses vœux monastiques, voilà qu’il devient chapelain à la cour du comte palatin Frédéric, frère de l’évêque de Spire, au grand dam et à la colère d’Ulrich von Hutten qui lui envoie quelques lettres bien trempées où il s’indigne et lui reproche d’avoir préféré les vanités du monde et de la cour à la liberté de l’église du Christ. C’est vrai qu’on a du mal à comprendre l’attitude de Bucer. Que diable allait-il faire à la cour du comte palatin ? A-t-il cru y déceler une certaine sympathie pour le parti luthérien ? Pensait-il qu’il pouvait gagner le comte à la Réforme ? Avait-il déjà pris des contacts avant de songer à quitter l’ordre des dominicains à Heidelberg.
Il finit par déchanter. S’il apprécia l’attitude du prince, il ne supporta guère la vie dissolue de la cour qui ne s’intéressait en aucun cas à l’étude, au travail et à la prière. Seule consolation, Neumarkt où il réside, « petite ville extraordinairement barbare » selon son appréciation peu amène, est située à 50 km de Nuremberg, centre politique, culturel et religieux de 30000 habitants où il rencontre quelques esprits selon son goût : l’humaniste Willibald Pirckheimer, le prévôt de l’église Saint-Laurent Hector Poemer et Andreas Osiander, futur réformateur de Nuremberg. Il se verrait bien prédicateur à l’hôpital de Nuremberg mais sa candidature n’est pas retenue. , En 1522, Il décide de tourner le dos à la vie de cour et à ses vanités. On le retrouve dans une paroisse de campagne à Landshut où l’avait placé Franz von Sickingen, peu rancunier et qui a su utiliser ses services, en l’envoyant notamment dans le Brabant pour une mission privée. Bucer est désormais chargé d’âmes, probablement le premier pasteur protestant du Palatinat.
On sait que ce nouvel état fut de courte durée. Sickingen avait défié l’archevêque de Trêves et après quelques premiers succès avait vu le sort des armes se retourner contre lui. Défait dans son château assiégé de Landstuhl, il mourut le 7 mai 1523. Son compère Ulrich von Hutten s’exila en Suisse, se brouilla avec Erasme et fut recueilli par Zwingli à Zurich où il mourut, malade, sur l’île d’Ufenau au milieu du lac de Zurich, la même année, en 1523
Bucer séjourna six mois à Landshut et, chose surprenante, se marie avec une ancienne nonne Elisabeth Silbereisen, fille d’un maître forgeron originaire de Mosbach sur le Neckar. Les parents qui semblent avoir bien réussi socialement moururent prématurément. Des héritiers impatients collèrent la jeune fille au couvent de Lobenfeld dans le Kraisgau.
On le l’attendait manifestement pas dans cet état marital. Dominicain hier encore, chapelain de cour à peine libéré de ses fonctions, le voilà désormais marié et guère malheureux de l’être. Un an après avoir convolé voilà ce qu’il écrit : « J’ai épousé une jeune fille qui a été au couvent et je ne m’en repens toujours pas… Nous nous sommes rendu compte que la vie du couvent a malheureusement souvent été un obstacle, nous empêchant d’arriver à une vie chrétienne. Nous avons décidé d’entrer dans la vie conjugale et nous avons vu que cela nous fait avancer dans une vie agréable à Dieu. » (JOISTEN, 53)
En réalité, nous ne connaissons rien des circonstances de leur rencontre ni de leur émoi amoureux. Pas davantage de leur intention de se marier.
Bucer, une fois encore surprend. Il est manifestement décidé à rompre avec sa vie de clerc et fait preuve d’un réel courage à s’engager dans une voie peu commune : se marier et avec une ancienne nonne de surcroît, cela ne se fait pas disait- on sentencieux. Et pourtant il l’a fait. Et surtout il l’a fait trois ans avant que Luther n’épousât Catherine von Bora, autre moniale défroquée.
On pensait qu’il n’était qu’un suiveur, agissant par mimétisme, il se révéla, courageux, pionnier parce courageux, et autonome. On n’a pas l’impression que quelqu’un lui dicte la route à suivre. S’il trace son chemin, c’est celui qu’il a choisi ou que, c’est sa seule et fondamentale concession, celui que Dieu lui a suggéré.
Wissembourg
L’expérience paroissiale de Lansdhut fut de courte durée. Sickingen, au moment où il engage son combat contre les princes allemands demande à ses amis de quitter le territoire. Sait-il déjà que le combat est inégal et qu’il ne l’emportera pas ? Bucer quitte Landshut avant que Sickingen et ses alliés ne rendent les armes. Il pense conduire sa femme à Strasbourg et reprendre quelques études à Wittenberg où enseigne Martin Luther. Sur le chemin strasbourgeois, il fait halte à Wissembourg, ville de la décapole alsacienne, en proie depuis l’origine à un conflit récurrent avec l’abbaye bénédictine qui jouxte la localité.
En 1517, le curé de la paroisse Saint-Jean, Henri Motherer, acquis aux thèses de Luther, avait réussi, appuyé par le magistrat municipal, à soustraire la paroisse au pouvoir du prieur et à la placer sous la protection de la ville. Bucer et son épouse veulent faire étape dans la cité, Motherer réussit à les garder durant six mois, désireux de faire passer Wissembourg dans le camp de la Réforme. Bucer va monter sur chaire quotidiennement, expliquer à son auditoire la lettre de Pierre et l’évangile de Matthieu, tirer à boulets rouges sur les moines et les prêtres « qui ne font que vendre le corps et le sang du Christ, marmonnant ou pleurnichant les psaumes sans jugeote et sans esprit. ».Il fonde sa critique de l’Eglise sur la Bible, fondement de la foi et dont le message de Jésus-Christ, Dieu devenu homme, est le centre.
La passion réformatrice de Bucer crée le trouble au sein de la communauté wissembourgeoise. Les uns prennent prétexte de sa critique pour songer à récupérer les biens que leurs aïeux avaient légué au couvent, les autres, et notamment le magistrat, prirent peur, « Le peuple ne voulut plus obéir aux autorités ni civiles ni religieuses» note, désabusé, un chanoine wissembourgeois. La défaite des Sickingen et Hutten n’arrangea pas les affaires de nos réformateurs. Motherer et Bucer étaient désormais menacés. Bucer fut excommunié par l’évêque de Spire, au printemps 1523. On apprit que les vainqueurs de Sickingen, Louis V de Palatinat, par ailleurs frère de l’évêque de Spire, accompagné du landgrave Philippe de Hesse et du prince électeur de Trêves, se dirigeaient en vainqueur vers l’Alsace.
Le magistrat de la ville de Wissembourg paniqua et chercha à se débarrasser des deux réformateurs encombrants, qui gardaient l’appui d’une partie de la population. Ils les firent partir de nuit, comme des voleurs, en direction de Strasbourg au mois de mai 1523 et s’empressèrent, avec un zèle amnésique, de rentrer dans les bonnes grâces des vainqueurs de Franz von Sickingen.
Ce sont deux apprentis réformateurs, en fuite et avec un bagage de fortune, qui se présentèrent à Strasbourg à l’aube d’une journée de mai 1523, accompagnés de leurs femmes enceintes. Bucer allait-il enfin trouver un port d’attache durable ?
Conclusion
Nous voilà arrivés au terme de l’étude. Les Lehr und Wanderjahre du jeune Bucer nous sont un peu plus familiers malgré les nombreuses zones d’ombre qui nous amènent à conjecturer plus que de mise. C’est que ces périodes dans la plupart des biographies restent en général les plus méconnues. Par absence de sources et discrétion aussi des intéressés eux -mêmes, peu enclins à parler d’une période qu’ils veulent oublier ou qu’ils estiment ne pas devoir dévoiler à notre curiosité
Le Bucer avant Bucer, quand Bucer perce sous Martin pour paraphraser Napoléon perçant sous Bonaparte, est pourtant révélateur. Il nous plonge dans l’univers fragile et rude d’une société, celle dont il est issu, de petits artisans qui tirent le diable par la queue, obligés de s’exiler pour vivre, condamnés à laisser leur rejeton au soin d’un grand père, que l’on devine plein de bonne volonté et pourtant démuni. Il nous installe dans un univers masculin, pour ce que nous en percevons, à domicile, à l’école latine si tant est qu’il la fréquenta, au sein, enfin, d’un ordre religieux dont les membres étudient, enquêtent, condamnent et souvent écrasent.
Les dominicains sont restés un ordre de frères prêcheurs comme à l’époque où Dominique les conçut dans le sud-ouest de la France, à la formation solide, d’autant plus solide qu’ils ont été créés pour extirper l’hérésie, cathare autrefois et évangélique aujourd’hui. L’inquisition demeure leur affaire et l’épisode de l’acharnement du prieur de Cologne Jacques Hoogstraten sur le pauvre Reuchlin illustre combien ils restent rudes à la tâche et implacables. Mais contrairement à l’impression qu’en donna Bucer plus tard, ils ne sont pas tous de fieffés réactionnaires, mais gens doctes, souvent érudits, parfaitement au courant du débat d’idée, attentifs à en suivre les contours, humanistes même, notamment à Heidelberg, érasmiens de surcroît, comme le fut longtemps Bucer. Ils n’ont pas basculé du côté de Luther même mais sont allés boire à la même source, celle des Ecritures et de l’amour du prochain, un amour ardent comme on le sait qui peut conduire la personne aimée sur le bûcher.
Ce qui frappe, c’est l’extraordinaire bagage intellectuel que Bucer a pu acquérir à leur contact. Leurs bibliothèques sont richement pourvues, celle du studium generale de Heidelberg en particulier, leurs exercices pédagogiques, les controverses ou disputes à laquelle ils soumettent leurs élèves- et Bucer en anima plus qu’une- de redoutables machines à penser et à débattre. Comme tout bon dominicain, ce qu’il fut par ses études, Bucer baigne dans l’univers théologique de Saint-Thomas dont il possède quelques œuvres mais dont la bibliothèque de l’ordre regorge. A l’autre bout de l’échelle, l’influence d’Erasme est constante. Ses écrits sont largement répandus et connus dans le couvent et patiemment acquis par le jeune frère dominicain qui écrit, en mars 1520, à Beatus Rhenanus qu’il grattait des fonds « avec ruse et méthode » afin d’acheter tout ce qui émanait de la plume d’Erasme. Intellectuellement, Bucer doit beaucoup à Erasme. Il l’a mis sur le chemin, écartant le cérémoniel de l’Eglise, s’adonnant à la pure confiance en Christ, s’abandonnant à l’obéissance aux commandements de Dieu dont la visée est le bien être du prochain, remettant au centre la Bible et les pères de l’Eglise.
Son adhésion enfin à Luther fut encore plus entière. Ce fut la rencontre essentielle de sa vie. D’emblée, il se saisit des thèses de Luther, les étudie en partie et s’en imprègne et y va de sa musique personnelle : alors que la théologie de Luther se concentre entièrement sur la foi en Christ, pour Bucer c’est l’œuvre bonne du chrétien qui résulte de cette foi qui revêt une importance particulière. Pour le reste, Bucer eut durant ces années essentielles l’occasion de manifester à maintes reprises son adhésion globale aux thèses de Luther. Ainsi en 1520, quand il prit connaissance du Commentaire de Luther aux Galates où il se retrouva pleinement. Le Wittembergeois avait insisté sur la liberté chrétienne comme sur l’amour du prochain, valeurs auxquelles n’importe quel humaniste pouvait adhérer. Bref, on l’aura compris la dette de Bucer est double. Erasme et Luther sont ses directeurs spirituels. L’examen des nombreux prêches qu’il fit à Wissembourg notamment montre cependant combien sa pensée s’enrichit et mûrit. Il ne se contente pas seulement de reproduire un modèle, il le rumine et y apporte ses analyses et sa conviction personnelle.
De cette époque, datent les premières descriptions physiques de Bucer. Un de ses amis le dépeint comme un « homme maigre, aux cheveux noirs, avec un teint foncé et passionné ». Passionné, incontestablement, nous l’avons observé à maintes reprises et pourtant réfléchi en même temps. Sûr de sa valeur et mobile. Toujours en mouvement, en chemin déjà, en train de voyager. Wissembourg devait être une étape, il y resta plus longtemps que prévu. Et Strasbourg, il s’y était rendu pour mettre son épouse en sécurité. Quand il y débarqua au printemps 1523, il ne s’attendait certainement pas à y demeurer l’essentiel du temps qui lui restait à vivre. Mais, ceci est une autre histoire…
Bibliographie
Martin Greschat, Martin Bucer (1491-1551), Un réformateur et son temps, Strasbourg, Puf, 2002.
Hartmut Joisten, Martin Bucer, Un réformateur européen, Strasbourg, Librairie Oberlin, 1991
Martin Bucer, Strasbourg et l’Europe, catalogue d’exposition à l’occasion du 500e anniversaire du réformateur strasbourgeois Martin Bucer 1491-1991. Strasbourg, 1991
Lexikon der Reformationszeit, Freiburg, Herder, 2002
Encyclopédie du Protestantisme, sous la direction de Pierre Gisel Puf, 1995, 2006
Gabriel Braeuner, Conférence donnée le 10 novembre 2016 au Foyer Martin Bucer de la paroisse protestante de Sélestat