On ne prête qu’aux riches
Hans von Schlettsadt, à la biographie incertaine, laisse une oeuvre considérable. D’autant plus importante qu’aucune ne peut lui être attribuée de façon … certaine ! L’oeuvre bâloise, seule, est incontestable. Et c’est elle qui est à l’origine des toutes les attributions ultérieures. Car ce voyage en Bourgogne interroge. Il confère à l’intéressé une aura artistique. Ses pérégrinations sélestadienne et strasbourgeoise, par la suite, en font un propagateur artistique idéal. En Alsace d’abord, mais bien plus loin, dans le Rhin supérieur, notre Oberrhein qui produira une foule d’artistes.
Goûtons notre plaisir. On lui attribua le fameux Paradisgaertlein, vers 1420, aujourd’hui conservé à Francfort (voir la vignette introductive). Un peinture délicate et fondatrice « Dans un jardin clos d’un muret crénelé, la Vierge est assise lisant tandis que l’enfant Jésus s’essaye au jeu du psaltérion et qu’un ange s’entretient avec deux jouvenceaux parmi des arbres, de oiseaux et des fleurs aux significations symboliques » (Victor Beyer). Les historiens de l’art, s’appuyant sur des considérations stylistiques objectives, ont été frappé par le caractère alsacien voire strasbourgeois de cette peinture. L’intimité poétique se mêlant au détail prosaïque, dans la droite ligne d’une inspiration mystique bien rhénane.
Voilà que dans la foulée, le tout aussi charmant tableau de la « Vierge au fraisier » de Soleure pourrait également lui être attribué et, pour faire bonne mesure, les panneaux du couvent de Saint-Marc à Strasbourg, dépôt des Hospices Civils au musée de l’oeuvre Notre Dame de Strasbourg : « le doute de Joseph et « le bain de l’enfant » On y décèle même des influences françaises et italiennes, de l’école de Sienne notamment. Et pour que notre joie sélestadienne soit complète, on en fait également l’auteur de certains vitraux du choeur de l’église paroissiale Saint-Georges ; celles toujours existantes, illustrant la légende de sainte Catherine et l’histoire de l’empereur Constantin et de sa mère Hélène. On en profite également pour lui attribuer la paternité de quelques vitraux de la collégiale de Thann.
Quel beau destin que celui de Hans von Schlettstadt qui continue de nous interpeller et qui fut fort utile aux historiens de l’art, il n’y a pas si longtemps Aujourd’hui, on aurait tendance, à la suite de Philippe Lorentz qui enseigne à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, de penser que « le » Hans Tieffenthal que l’on fait travailler successivement à Bâle, Sélestat et Strasbourg a été forgé par l’historiographie du XIX e siècle en quête d’un artiste susceptible d’égaler la grandeur d’un Schongauer pendant la première moitié du XVIe siècle ». Une petite rivalité avec Colmar ? On se disait bien…
Pour en savoir plus :
Dictionnaire historique Suisse : Notice Hans Heinrich Tieffenthal.
Nouveau Dictionnaire de Biographie alsacienne : notice Hans von Schlettstadt.
Victor Beyer, 2000 ans d’art en Alsace, Oberlin, 1999.
Philippe Lorentz, Strasbourg 1400, un foyer d’art dans l’Europe gothique, catalogue de l’exposition tenue à l’ouvre Notre Dame du 28 mars au 8 juillet 2008, Strasbourg, 2008.
Philippe Lorentz, Histoire de l’art du Moyen-Age occidental, Annuaire de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, 140, 2009.
Gabriel Braeuner, DNA Sélestat, 14 décembre 2019, Hans von Schlettstadt, rubrique :Ces hommes et ces femmes qui ont fait l’histoire de Sélestat