Hans von Schlettstadt , un peintre mythique ?

 

 A en croire de nombreux historiens et historiens de l’art, il fut un de nos plus grands peintres.  L’équivalent du colmarien Martin Schongauer, mais pour la première moitié du XVe siècle. Probablement originaire de Sélestat. Il est peut être même né, juste à côté, à Dieffenthal. Il apparait à Bâle sous le nom de Hans Tieffenthal à partir de 1418. Pour compliquer le tout, des historiens l’appellent Hans Tieffenthal von Schlettstadt ou simplement Hans von Schlettstadt. Selon l’humeur ou leur embarras. 

308px-Meister_des_Frankfurter_Paradiesgärtleins_001

 

Essayons de le cerner sans décrocher en cours de route  Il y a un Hans Moler qui apparaît dans les document de Sélestat comme propriétaire en 1391. Est-ce le même? Celui de Bâle, qui vient  effectivement de Sélestat, obtient un contrat en 1418 de la part de la grande cité rhénane pour réaliser le décor de la chapelle de l’Elend Kreuz, à Klein Basel sur la rive droite du Rhin. On lui demande de s’inspirer du plafond, un ciel étoilé, de l’église des Chartreux de Champmol en Bourgogne. On sait que la Bourgogne est un foyer artistique important à l’époque. Faire ses classes dans la région est un bagage pour l’avenir. Les Bâlois, qui sont des gens de goût, connaissent les bonnes adresses. Ils utilisent également les bons peintres et Hans von Schlettstadt l’est incontestablement. On le tient en haute estime. La ville le charge alors de refaire le grand tableau surmontant l’entrée de la cité  par le pont du Rhin. Travail qui lui vaut le droit de Bourgeoisie à titre gracieux. 

 

Même dans la grande ville de Bâle, un Sélestadien reste un Sélestadien. La Heimweh le fait revenir dans sa ville natale. Il vend sa maison de Bâle en 1423 et revient au bercail. L’année suivante, il construit une maison au Wafflerhof face à l’hôtel de ville de Sélestat. Dix ans plus tard, Hans von Schlettstatt entame une carrière strasbourgeoise, autre tentation sélestadienne récurrente. En 1433, il habite une maison dite du Kirschbaum, rue des orfèvres à Strasbourg, tout près de la cathédrale, enfin en voie d’achèvement. Il deviendra même membre du conseil de la ville en 1444. En sa qualité de maître, il dirige un atelier et emploie des collaborateurs dont le futur peintre Jost Haller. Mais au fait, est ce toujours le même Hans von Schlettstatt ? Un fils, de même nom, ne se serait-il pas glissé dans cette édifiante histoire? Au même moment, dans les documents strasbourgeois apparaît, en outre, un Hans von Schlettstatt, orfèvre de son état, qui se rend à Metz. C’est qui lui ? Le même ? Après tout, Schongauer, un peu plus tard était lui  aussi issu d’un milieu d’orfèvres. On finit par perdre sa trace. Heureusement d’ailleurs, sinon Schongauer aurait pu craindre la concurrence.

On ne prête qu’aux riches 

 Hans von Schlettsadt, à la biographie incertaine, laisse une oeuvre considérable. D’autant plus importante qu’aucune ne peut lui être attribuée de façon … certaine ! L’oeuvre bâloise, seule, est incontestable. Et c’est elle qui est à l’origine des toutes les attributions ultérieures. Car ce voyage en Bourgogne interroge. Il confère à l’intéressé une aura artistique. Ses pérégrinations sélestadienne et strasbourgeoise, par la suite, en font un propagateur artistique idéal. En Alsace d’abord, mais bien plus loin, dans le Rhin supérieur, notre Oberrhein qui produira une foule d’artistes.

Goûtons notre plaisir. On lui attribua le fameux Paradisgaertlein, vers 1420, aujourd’hui conservé à Francfort (voir la vignette introductive). Un peinture délicate et fondatrice « Dans un jardin clos d’un muret crénelé, la Vierge est assise lisant tandis que l’enfant Jésus s’essaye au jeu du psaltérion et qu’un ange s’entretient avec deux jouvenceaux parmi des arbres, de oiseaux et des fleurs aux significations symboliques » (Victor Beyer). Les historiens de l’art, s’appuyant sur des considérations stylistiques objectives, ont été frappé par le caractère alsacien voire strasbourgeois de cette peinture. L’intimité poétique se mêlant au détail prosaïque, dans la droite ligne d’une inspiration mystique bien rhénane.

Voilà que dans la foulée, le tout aussi charmant tableau de la « Vierge au fraisier » de Soleure pourrait également lui être attribué et, pour faire bonne mesure, les panneaux du couvent de Saint-Marc à Strasbourg, dépôt des Hospices Civils au musée de l’oeuvre Notre Dame de Strasbourg : « le doute de Joseph et « le bain de l’enfant » On y décèle même des influences françaises et italiennes, de l’école de Sienne notamment. Et pour que notre joie sélestadienne soit complète, on en fait également l’auteur de certains vitraux du choeur de l’église paroissiale Saint-Georges ; celles toujours existantes, illustrant la légende de sainte Catherine et l’histoire de l’empereur Constantin et de sa mère Hélène. On en profite également pour lui attribuer la paternité de  quelques vitraux de la collégiale de Thann.

Quel beau destin que celui de Hans von Schlettstadt qui continue de nous interpeller et qui fut fort utile aux historiens de l’art, il n’y a pas si longtemps Aujourd’hui, on aurait tendance, à la suite de Philippe Lorentz qui enseigne à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, de penser  que « le » Hans Tieffenthal que l’on fait travailler successivement à Bâle, Sélestat et Strasbourg a été forgé par l’historiographie du XIX e siècle en quête d’un artiste susceptible d’égaler la grandeur d’un  Schongauer pendant la première moitié du XVIe siècle ». Une petite rivalité avec Colmar ? On se disait bien…

Pour en savoir plus :

Dictionnaire historique Suisse : Notice Hans Heinrich Tieffenthal.
Nouveau Dictionnaire de Biographie alsacienne : notice Hans von Schlettstadt.
Victor Beyer, 2000 ans d’art en Alsace, Oberlin, 1999.
Philippe Lorentz, Strasbourg 1400, un foyer d’art dans l’Europe gothique, catalogue de l’exposition tenue à l’ouvre Notre Dame du 28 mars au 8 juillet 2008, Strasbourg, 2008.
Philippe Lorentz, Histoire de l’art du Moyen-Age occidental, Annuaire de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, 140, 2009.

Gabriel Braeuner, DNA Sélestat, 14 décembre 2019, Hans von Schlettstadt, rubrique  :Ces hommes et ces femmes qui ont fait l’histoire de Sélestat

Ce contenu a été publié dans Des Cités et des Hommes, Moyen-Age, Portraits d'Alsaciens, Sélestat, avec comme mot(s)-clef(s) , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.