Il y a vingt ans, le 26 mai 1996, décédait Edmond Gerrer, maire de Colmar de 1977 à 1995. Quelques semaines après Marcel Rudloff, maire de Strasbourg, qui avait été son ami. Quelques jours avant Gilbert Estève maire de Sélestat, plus jeune que lui, appartenant à une autre famille politique, mais proche intellectuellement et spirituellement.
Comme toute une génération de jeunes nés au lendemain de la Grande Guerre, Edmond Gerrer s’était engagé en politique tout de suite après la Seconde Guerre mondiale, au sein d’une Europe à reconstruire et d’une difficile mais exaltante réconciliation franco-allemande à entreprendre. Vous avez bien entendu « engagé » comme tout homme de conviction pour qui les œuvres sont le prolongement naturel de la foi. Engagé au sens d’Albert Schweitzer qui proclamait : « je crois dans la mesure où j’agis ».
Avant d’être maire, Edmond Gerrer depuis 1956 – il était entré au conseil municipal de Colmar en 1953 – avait été l’adjoint de Joseph Rey qui présida aux destinées de la ville de 1947 à 1977. Il avait ainsi participé et contribué à l’essor de Colmar, durant les Trente Glorieuses, qui avait vu la ville croître et se moderniser, s’étendant massivement à l’ouest, se dotant, au nord, d’une vaste zone industrielle et entreprenant une politique de rénovation urbaine et de restauration architecturale destinée à assurer un bel avenir à son riche passé.
Si le philosophe, élève, un temps, de Heidegger à Fribourg, avait rêvé de « la cité idéale », le pédagogue – il enseigna à l’École normale de Colmar, de 1947 à 1979 – savait que la voie serait étroite et le chemin difficile. Quand il devint maire, le monde connaissait la crise économique et amorçait une récession qui obligea les responsables à réduire leurs projets et investissements. Si Colmar fut elle aussi contrainte, elle put, sous ses mandats rigoureux, se préserver du déclin. Elle continua à accueillir les investisseurs (Ricoh, 1987), réalisa enfin le contournement autoroutier tant attendu (1995) et mit tout son poids dans l’enseignement (Lycée Camille Sée, 1991), la recherche et l’université faisant de Colmar le deuxième pôle de l’Université de Haute-Alsace. En 1993, les I.U.T colmariens, alors au nombre de quatre, avaient acquis leur autonomie par rapport à Mulhouse.
Cet investissement économique et pédagogique ne se départit jamais d’un questionnement social constant et naturel. Souvenons-nous de l’écoute et du parfait climat entretenu avec l’association Espoir dont il fut toujours proche. Cette relation étroite permit à l’association de réaliser le Foyer Tjibaou en 1979, la Clausmatt, en 1986, ainsi que, la même année, les bâtiments de la rue Ampère.
Ce fils de charpentier, né à Lautenbach dans la vallée de Guebwiller en 1919, avait lancé les chantiers lourds de la restauration des églises colmariennes historiques : La collégiale Saint-Martin (1972-1985), qui lui tint particulièrement à cœur, les Dominicains (1980-1993) et les Franciscains, aujourd’hui église Saint-Matthieu (1982-1997).
L’homme cultivé, lecteur exigeant des anciens comme des modernes, s’était nourri aux sources de notre patrimoine littéraire européen. Comme tout bon Alsacien, il savait combien notre double héritage culturel français et allemand était fécond et contribuait à l’enrichissement de notre identité.
Ce grand lecteur de Goethe et de Rilke, qui possédait parfaitement la langue allemande, n’avait pas oublié le dialecte de son enfance, partagé avec l’écrivain Jean Egen, l’inoubliable auteur des Tilleuls de Lautenbach, leur village natal. je fus le témoin d’échanges savoureux, parfois même emprunts de gravité, avec Germain Muller qui, chaque année pendant des décennies, prenait le chemin de Colmar pour y présenter sa nouvelle revue du Barabli. Une amitié forte liait les deux hommes.
Son mandat de maire fut fortement marqué par ses convictions culturelles. Il avait su donner une impulsion nouvelle à la vie culturelle de la cité, la dotant d’un Festival de musique au rayonnement international (1989) et d’un ambitieux Salon du livre (1989). L’Atelier du Rhin trouva enfin résidence à la manufacture des tabacs (1990) tout comme la maison des associations (1985). L’École maîtrisienne prit son envol (1985) pour devenir une des premières maîtrises de France. La ville s’ouvrit au vaste monde en se jumelant avec Princeton, joyau des universités américaines (1987), Eisenstadt, en Autriche (1983), la ville de Haydn, et Györ, en Hongrie (1993), à proximité de l’abbaye de Pannonhalma, haut lieu, depuis l’an mil, de la spiritualité de l’Europe centrale.
Au terme de son dernier mandat, Edmond Gerrer se retira en 1995. Il devait décéder, un an plus tard, vaincu par une implacable maladie qu’il avait supportée avec courage.
Alors que les termes « humanisme et humanistes » sont aujourd’hui galvaudés, c’est pourtant ce qualificatif qui sied le mieux à Edmond Gerrer qui, à sa place de maire de Colmar, émule d’Érasme et d’Albert Schweitzer, fut un homme selon la définition qu’en donna Goethe :
À toi-même soit fidèle et fidèle à autrui
Et que la peine que tu donnes soit de l’amour
Et que la vie que tu mènes soit action.
Gabriel Braeuner
printemps 2016, article publié dans la Revue Espoir, 3e trimestre 2016 et dans le Programme 2016-2017 du Théâtre alsacien de Colmar.