Je vois un symbole particulièrement riche dans le fait que la Médiathèque intercommunale de Sélestat accueille dans ses murs cette exposition des photographies de Bernard Plossu consacrée aux pages de mémoires de feue la bibliothèque humaniste de Sélestat. Car au-delà de ce quelle fut, ou qu’elle sera à nouveau, dans, espérons le, peu de temps, telle qu’en elle-même mais transfigurée, notre bibliothèque humaniste, celle de l’école latine et cette de Beatus Rhenanus fut aussi la bibliothèque municipale qu’à partir de 1997 l’actuelle médiathèque intercommunale prolongea si efficacement. Vous êtes, chers amis toujours et encore dans la plus belle médiathèque d’Alsace et je continue à le proclamer, les visitant les unes après les autres. Il n’y avait donc pas plus bel écrin ni endroit plus justifié que notre médiathèque pour accueillir l’exposition photographique de Bernard Plossu.
Mais il n’y avait pas de photographe plus approprié que Bernard Plossu pour retrouver sans avoir l’air d’y toucher le génie particulier de ce lieu, cette ambiance et cette atmosphère uniques et délicieusement désuète. Les photographes n’on pas besoin qu’on les cite, leur art consiste à donner à voir et dans ce domaine Bernard Plossu est inégalable. Vous trouverez dans les livres, les catalogues, et même sur la toile tous les éloges qu’il mérite. Vous y trouverez aussi l’illustration de cette manie bien contemporaine à vouloir le classer dans une catégorie bien déterminée de photographe de voyage, d’adepte exclusif du noir et blanc, de conservateur à jamais fidèle au vieux Nikormatt à l’ouverture définitivement figée à 50. Tout cela est un peu vrai mais pas seulement. Il convient de nuancer. Ne le répétez-pas ce photographe, est un poète, amoureux des visages, des lieux et des mots. Un amoureux des livres qui ne pouvait que s’arrêter un jour dans notre Bibliothèque humaniste comme s’arrêta naguère Alberto Manguel que d’admirables textes relient aux lumineuses photographies de Bernard Plossu dans le livre que l’association des Amis de la Bibliothèque vient d’éditer il y a quelques semaines. Oui, Bernard Plossu, ce voyageur migrateur tel qu’il se définit parfois, a trouvé le chemin de Sélestat, non pas seulement grâce à la médiation amicale et persuasive de Philippe Lutz mais parce, que je le cite « La photographie c’est une disponibilité au hasard et le hasard ne vous arrive pas par miracle, le hasard… on a le hasard presque qu’on mérite, au bout de pas mal de temp d’aller partout. Il vous arrive des choses et c’est pour cela que j’aime bien dire qu’on ne prend pas de photos mais que les photos vous prennent. » Qu’est ce qu’un hasard qu’on mérite, si ce n’est la bibliothèque humaniste. Beaucoup disent la connaitre mais qui la connait vraiment ?
Comme pour la cène ou la communion, on s’y prépare longuement, humblement. On se dépouille du superficiel pour ne garder que l’essentiel, on s’allège du superflu, on est tel le myste qui entre dans le mystère, on fait silence, on s’ouvre. Et on accède, comme Bernard Plossu, non pas au temps arrêté mais au non temps. « Comme les brefs moments de silence – je le cite encore- que l’on trouve dans la musique du Moyen-Orient » Car que nous donne à voir Bernard Plossu de cette Bibliothèque à laquelle nous fûmes tant attachés ? Non pas un moment de son histoire, mais un écho qui continue à faire résonance. Merci à lui et à son immense talent pour avoir su susciter en nous, une fois encore, les vibrations immobiles et silencieuses de la Bibliothèque humaniste de Sélestat. Dût il encore en rougir, je le citerai une dernière fois : « On ne prend pas une photographie, on la voit et on la partage avec les autres. » C’est à ce partage, chers amis, que je vous convie maintenant.
Gabriel Braeuner, 6 novembre 2015