Mentelin, notre Gutenberg

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Jean Mentel, ou Mentelin, est un de nos grands imprimeurs. Sélestadien comme il se doit. Ce quasi contemporain de Gutenberg est le premier grand imprimeur… strasbourgeois. On lui doit notamment, dès 1460, aux balbutiement de cet art nouveau qu’est l’imprimerie, l’impression d’une Bible en latin et surtout, en 1466, la première Bible en langue allemande, bien avant celle de Luther (1522).

Il était né dans notre ville vers 1410. Nous sommes très mal renseignés sur sa jeunesse. Mais on l’identifie à Strasbourg en 1447 quand il obtient le droit de bourgeoisie de la cité. Il est inscrit à la corporation des peintres puisqu’il exerce d’abord le métier d’enlumineur,(« Goldschreiber »). Sa polyvalence étonne. Il est en même temps notaire épiscopal. Ses connaissances de la langue latine l’ont fait remarquer par l’évêque de Strasbourg. Devenu familier de l’art typographique, il va ouvrir un atelier en ville. Rue de l’Épine probablement. Il y fera fortune. Il créera même une dynastie d’imprimeurs en mariant ses deux filles à deux remarquables techniciens Adolph Rusch et Martin Schott qui prolongeront son oeuvre et son entreprise . Il connaîtra la gloire aussi. Sa première Bible en langue allemande lui vaut d’être anobli par l’empereur Frédéric III. A noter qu’il obtint l’autorisation de porter dans ses armoiries, le lion de la sa ville natale. On a beau s’exiler, on reste Sélestadien pour toujours. Quand il mourut, le 12 décembre 1478, il fut enterré au cimetière de la chapelle Saint-Martin de la cathédrale. On raconta même qu’il fut enterré à l’intérieur de celle-ci. On ne prête qu’aux riches !

Il doit sa notoriété à son art. Son officine strasbourgeois fut fort actif. On le crédite de l’impression de 45 publications. Outres les deux Bibles précitées qui ont fait sa gloire, son catalogue couvre la champ de la pastorale religieuse, de la théologie, du droit et de la littérature. Il a même édité un Parzifal ! Son atelier est plus qu’un atelier. C’est une entreprise. Il ne se contente pas d’imprimer, mais il va à la rencontre de ses clients et lecteurs. Il a organisé le métier. N’a-t-il pas publié, à partir de 1469, les premiers prospectus publicitaires pour annoncer ses nouveautés ? Sa gloire fut durable. Son petit-fils, Jean Schott, avait réussi un joli coup promotionnel en proclamant, pour d’évidentes raisons commerciales, que son grand-père avait tout bonnement été l’inventeur de l’imprimerie. Sa légende était née. Pour autant, il fut un artisan d’art de talent. Le grand humaniste Jacques Wimpfeling, autre Sélestadien de renom s’extasiait  en 1505  encore sur la qualité de ses « nombreux volumes marqués par la pureté et la finition »

Les deux Bdownloadibles de Mentelin

Notre sélestadien imprima le premier libre imprimé en Alsace ( !) en 1460. Soit cinq ans après la Bible à 42 lignes de Gutenberg (1455). La sienne possède 49 lignes et peut être considérée comme un vrai chef d’oeuvre comme toutes ses productions d’ailleurs. Mentelin  apporte un soin particulier à ses productions. A cette époque, il n’y a que trois villes qui disposent de presses au sein de l’Empire germanique: Mayence, Bamberg et Strasbourg. Pour l’admirer aujourd’hui, il faut se rendre à Colmar, où elle sera un joyau du futur musée des Dominicains,  à la Bibliothèque nationale et au musée Condé de Chantilly. Les volumes sont richement illustrés. Les initiales peintes sont nombreuses. Un décor floral, rehaussé d’or encadre les feuillets illustrés. Le décor peint provient probablement du groupe de scribe d’ Henri de Villencus, moine chartreux que l’on sait actif à Bâle au milieu du XVe siècle. Un beau livre donc qui n’étonne pas quand on connait un peu l’exigence de qualité et les talents de calligraphe du Goldschreiber qu’était Mentelin quand il apprit le métier.

Six ans plus tard, sort des atelier de sa presse, une monumentale Bible, en langue allemande, la première au sein du Saint-Empire romain germanique. Plusieurs versions manuscrites en usage au Moyen Âge ont servi de modèle. Pendant soixante ans, elle va connaitre la notoriété avant que la Bible de Luther ne la supplante. Ce qui n’enlève rien ni à la précocité ni à la qualité de la Bible de Mentelin. Le texte imprimé est rehaussé d’initiales à la plume en bleu, vert et vermillon. La qualité « mentelienne » toujours et encore. Elle aussi sera visible à Colmar qui en conserve deux exemplaires. La Bibliothèque nationale en conserve une autre.

Résumons, nous devons au Sélestadien le premier livre imprimé en Alsace et la première Bible  en langue allemande … d’Allemagne. De quoi figurer en bonne place dans le panthéon prestigieux de Sélestat et de l’Alsace.

La légende de  Mentelin

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Strasbourg et Mayence, on le sait, se disputent depuis longtemps l’insigne privilège d’avoir été

le berceau de l’imprimerie. Est-ce à Strasbourg où dans sa ville natale que Gutenberg devint le génial inventeur de cette technique qui révolutionna le monde ? L’affaire est tranchée depuis le  XVIIIe siècle mais elle continua d’ occuper les esprit ; Elle rebondit au rythme des conflits qui opposèrent la France et l’Allemagne.On en vint même à contester que ce fut Gutenberg. On lui substitua un Sélestadien, rien que cela ! L’illustre Jean Mentel ou Mentelin qui fut un des pionniers de l’imprimerie à Strasbourg comme on vient de le voir.

Promenez-vous à l’intérieur de la Bibliothèque Humaniste. Que peut-on lire sur cette statue en albâtre, datée du XIXe siècle, où le couple de sculpteurs, Sichler-Majastre, le représente en buste sinon que Jean Mentelin est bien l’inventeur de l’imprimerie. La statue vous accueillait naguère encore à l’entrée de la bibliothèque de Beatus Rhenanus. Aujourd’hui, elle se fait plus discrète, un peu à l’écart, juste derrière l’installation où les visiteurs s’épuisent avec entrain à imprimer leur nom selon la technique de Gutenberg.

C’est qu’en réalité, il existe une belle légende concernant et Gutenberg et Mentelin. On la racontait encore au siècle dernier. La voici :

 « Jean Mentel, libraire à l’enseigne de la Ménagerie au Fronhof à Strasbourg, inventa en 1440 l’art d’imprimer. Les résultats obtenus par le natif de Sélestat furent si extraordinaires que les gens de métier, les scribes exprimèrent leur incrédulité. Il leur était impossible de faire la différence entre imprimés et manuscrits, tant les premiers ressemblaient à s’y méprendre aux seconds. Un de ces scribes se fit alors engager chez Mentel pour s’approprier la nouvelle technique. Quand il en sut assez, il disparut pour s’établir à Mayence chez un dénommé Gutenberg auquel il confia le secret de l’invention. Un jour, un Strasbourgeois, qui séjournait à Mayence, reconnut le scribe et s’en alla raconter à l’honnête et naïf Gutenberg, l’histoire véritable de l’invention de l’imprimerie. Gutenberg, qui était un honnête homme, fut outré par le comportement indélicat du scribe et le chassa. Il s’en voulut de s’être ainsi fait posséder et tenta de réparer la faute en décidant de se rendre à Strasbourg pour y rencontrer Mentelin et faire amende honorable.  Arrivé sur place, il trouva la maison de Mentel close et s’enquit auprès des voisins du lieu où il pouvait trouver son illustre devancier. On lui indiqua la cathédrale toute proche. Il interrogea le bedeau qui lui fit comprendre que si le sieur Mentelin est ici, il est mort de douleur  parce que sa découverte a été volée » Effondré, Gutenberg se rendit chez Conrad Sasbach afin qu’il lui fabriquât une presse semblable à celle de Mentel. Il s’établit à Strasbourg et « produisit ses plus belles oeuvres à qui il devait gloire et richesse. »

L’histoire est exquise. Fausse, bien entendu, mais qui nous empêchera de continuer à y croire ?

Gabriel Braeuner, DNA, extrait de la rubrique Ces femmes et ces hommes qui ont fait l’histoire de la ville, 8 février 2020

 

 

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