Étrange paradoxe que celui d’Erasme de Rotterdam, homme de l’automne du Moyen Age et de l’aube de la Renaissance dont on parle encore comme s’il nous avait à peine quitté. Celui que l’on a appelé le prince des humanistes et qui fut tour à tour éditeur, traducteur, commentateur, prosateur et poète a vécu il y a un demi-millénaire. Homme d’un autre temps, d’un autre monde, qu’aurait-il encore à nous dire, lui qui n’a fondé aucune religion, gouverné aucun pays, remporté aucune victoire militaire, ingrédients habituels de la notoriété, des distinctions et des consécrations.
Le temps d’Erasme
Son temps n’est pas le moindre des temps historiques. A cheval sur un tragique quinzième siècle et un XVIe siècle qui s’est paré de toutes les modernités sans se soustraire pour autant aux fléaux que furent les violences de la guerre, de la famine et des épidémies. Les pestes y furent aussi nombreuses qu’autrefois, régulières et mortelles. Et les affrontements physiques mais aussi idéologiques d’une intensité quasi barbare. Pourtant, nous nous évertuons à en faire un âge d’or, une aube nouvelle, celle de la Renaissance, de la Réforme aussi et de l’humanisme enfin. Et comble de vanité, nous nous efforçons parfois de comparer nos propres siècles, car nous aussi nous sommes à cheval sur deux séquences, à ces siècles-là.
Point d’histoire sans chronologie. Sans le rappel de quelques dates qui permettent de nous situer. Erasme, nous y reviendrons, naît en 1469 et meurt en 1536. Autrement dit, s’il n’a pas connu la chute de Constantinople, autre date charnière de notre comput historique, intervenue en 1453, il se situe à son lendemain à peine, dans les effets de son traumatisme sur l’ensemble de l’Occident. Au point que certains en ont fait la date de la fin du Moyen Age. Mais il se situe aussi à la même aube qui vit Gutenberg vers 1453-54 inventer l’imprimerie dont il fit, lui Erasme, plus tard ample moisson et Christophe Colomb découvrir l’Amérique en 1492, autre date pour signifier la fin d’une époque ou le commencement d’une ère nouvelle. Il fut aussi le contemporain de trois monarques qui ont marqué l’histoire de l’Europe et nos mémoires défaillantes dont nous avons retenu quelques bribes d’histoire (s): François Ier à qui nous relie une date obsessionnelle définitivement inscrite dans nos gênes: Marignan-1515 et quelques châteaux de la Loire et Henri VIII d’Angleterre, sorte de géant aussi débonnaire que cruel, un peu Barbe bleue dans notre imaginaire, dont on sait au moins quand on ne sait rien qu’il fut marié cinq fois et exécuta deux de ses épouses comme il exécuta d’ailleurs son excellent et très érasmien conseiller, le chancelier Thomas More, en 1535.
Mais son empereur à lui ce fut Charles-Quint qui comme lui naquit au Pays Bas et dont l’empire résulta en grande partie d’héritages à la suite d’une habile politique d’alliances matrimoniales. En 1515, Charles-Quint prend le gouvernement des Pays-Bas qui est héritage bourguignon de Charles le Téméraire, comprenant l’Artois, la Flandre, le Brabant, le Luxembourg et la Franche Comté. L’année suivante, il reçoit l’héritage espagnol maternel : les royaumes de Castille, d’Aragon, de Naples et de Sicile, et surtout les colonies d’Amérique du Mexique actuel jusqu’au Chili. Quand il devient empereur du Saint-Empire, en 1519, il règne sur une grande partie de l’Europe qui s’étend désormais à l’est jusqu’en Silésie et en Hongrie ; mais c’est un empire menacé par la puissance ottomane qui sous la conduite de Soliman le magnifique s’approche, après la victoire de Mohàcs en Hongrie en 1526, jusqu’aux portes de Vienne. Ceux qui sont un peu au fait des histoires schismatiques savent enfin que c’est en 1517 que Luther afficha ses thèses sur l’Eglise de Wittenberg, provoquant un séisme qui allait ébranler l’édifice de l’Eglise d’Occident, déchirant, pour la deuxième fois, la robe sans couture du Christ.
L’espace d’Erasme, ce fut donc l’Europe. Les Flandres où il naquit et débuta, la France où il fut étudiant, l’Italie et l’Angleterre où il s’affirma, l’Allemagne et la Suisse où il se réalisa. Soit une partie de l’Europe occidentale telle que nous la connaissons aujourd’hui. Le royaume de France, le Saint Empire romain germanique et le royaume d’Angleterre en constituaient déjà les fers de lance politiques, antagonistes parfois( guerres d’Italie opposant Charles-Quint à François Ier) et l’Italie continuait d’exercer une forme de domination culturelle, plastique et littéraire dont émergea l’humanisme, ce retour aux sources culturelles de l’antiquité («reditus ad fontes») qui de l’Italie gagna toute l’Europe.
Erasme en son temps
Voilà pour la géographie érasmienne, il nous faut maintenant pour mieux le cerner dire les étapes importantes de sa vie. Démarrons avec le mystère de ses origines. Il est le fils illégitime d’un prêtre et d’une fille de médecin, on ne connait pas vraiment sa date de naissance : 1466, 1467 ou 1469, date finalement retenue pour la célébration, en 1969, du demi-millénaire de sa naissance. Il est né à Rotterdam et il a un frère Peter, de trois ans son ainé.
Sa prime enfance, il la passe à Gouda dans l’école de Peter Winkel son oncle. Puis probablement à l’école du chapitre de la cathédrale d’Utrecht. De 1478 à 1485, il rejoint l’école latine des frères de la vie commune de Deventer, réputée pour sa spiritualité, son lien privilégié avec la devotio moderna qui concilie la vie active et la contemplation, l’enseignement de la Bible et celui des auteurs de l’antiquité païenne : l’un des premiers foyers de l’humanisme au nord de l’Europe. A la recherche d’une forme de sécurité, voilà qu’il entre au couvent des Augustins à Steyn, il y prononcera ses voeux en 1488 et y séjournera, pas vraiment convaincu, jusqu’en 1492, date où il est ordonné prêtre avant de rejoindre l’évêque de Cambrai qui le prend pour secrétaire.
De 1495 à 1499, il étudie, dans des conditions matérielles difficiles, à Paris au collège Montaigu sur la montagne Sainte Geneviève pour obtenir son doctorat en théologie. Il donne des cours pour survivre et l’un de ses élèves, durant cette période, William Mountjoy, lui fait découvrir l’Angleterre, des intellectuels qui deviendront ses amis, John Colet, Thomas More, le prince Henri, futur Henri VIII. Des humanistes chrétiens, l’université d’Oxford, la cour royale, la haute société londonienne le révèlent à lui-même. Sa double voie est désormais tracée : ce sera celle du lettré et du théologien.
De 1500 à 1506, il alterne les séjours à Paris, en Angleterre et chez lui aux Pays-Bas. Il publie et se fait un nom, celui qu’il a adopté en 1496 : Desiderius Erasmus Roterodamus. En 1503, paraissent à Paris ses premiers Adages, un recueil d’expressions et de proverbes latins, puisés chez les auteurs anciens, régulièrement enrichis jusqu’à sa mort. La première édition en compta 818, la dernière 4250. Plus que des proverbes, ce sont des notes de lecture. Son choix est pédagogique et les sujets multiples.On y parle de philosophie, d’ethnologie, de musique, d’histoire, de littérature et de médecine, aussi bien de cuisine ou de vêtements (Jean-Christophe Saladin, 2012). Nous avons là une somme de la sagesse antique, une anthologie des meilleurs auteurs. Peu accessibles au lecteur d’aujourd’hui, (quoique?) ils furent lus et relus des centaines de fois par les écoliers d’alors. Qu’y trouve-t-on la culture antique représentée par des citations.« Dans le formidable effort intellectuel de la Renaissance, écrit l’historien belge Léon Halkin, dans le mouvement général de retour aux sources, nul ne connait mieux qu’Erasme les institutions et la littérature de l’antiquité, nul n’en parle avec plus d’élégance. Les Adages contribuent puissamment à répandre l’esprit classique, et par là, leur auteur en renforce le caractère international de la culture. ( Lire : Ne pisse pas face au soleil ; Pour un malade , tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, in : Les Adages, Les Belles Lettres, 2012 )
La même année, paraît l’Enchiridion militi christiani (Anvers), le Manuel du soldat chrétien, oeuvre déjà essentielle de l’humanisme chrétien et plus précisément de l’érasmisme.
C’est en Italie, à Turin, qu’il obtient son bonnet de docteur en théologie, en 1506 ,et c’est à Venise, auprès du grand imprimeur Alde Manuce, de 1506 à 1508, qu’il s’initie aux techniques de l’imprimerie et où il approfondit sa connaissance du grec au contact des savants byzantin réfugiés. Retour à des années anglaises, à partir de 1509, d’autant plus que son ami HenriVIII vient d’accéder au trône d’Angleterre. C’est au cours de son séjour chez Thomas More qu’il aurait rédigé, en 1509, en quelques jours, son fameux ouvrage l’Eloge de la Folie, satire de toutes les folies humaines, devenue universellement célèbre et qui lui vaut quelques solides inimitiés de la part des gens d’église, de l’université de Louvain, de Paris, des moines espagnols. L’Encomium Moriae est un joyeux exercice de style où la folie s’exprimant à la première personne ose un sermon plein de paradoxes, d’audaces et de railleries pour à la fin épouser une forme de mysticisme s’identifiant à la folie de la croix. Ce texte célèbre et controversé, le plus connu d’Erasme , est d’abord celui d’un homme de foi libre. «C’est son chef-d’œuvre, un des grands livres de la Renaissance, un livre qui n’a pas vieilli ( Halkin, 1987, 118). Quoiqu’en dise l’auteur danss sa préface, c’est une déclamation satirique, rédigée d’une plume rapide, piquante, parfois cruelle. C’est aussi une déclaration lyrique exaltant la sage folie d’un christianisme authentique » ( Lire, Eloge de la Folie, Erasme, Laffont, 1992, 99)
A partir de 1514, le voilà de retour dans son pays natal, mais on le rencontre aussi à Bâle où il fait la connaissance de l’imprimeur Johannes Froben qu’il retrouvera bientôt. De retour au Pays-Bas, il publie l’Education d’un prince, conseillera le duc Charles, devenu roi d’Espagne, futur Charles-Quint, et participera activement à la création du collège trilingue de Louvain où l’on enseigne les langues mères des humanistes : l’hébreu, le grec et le latin. Mais la surveillance de ses écrits, la qualité de ses imprimeurs amis, en qui il a totale confiance, le pousse de plus en plus vers Bâle où va s’installer définitivement ou presque, jusqu’en 1529, au moins, et à partir de 1535 à nouveau, où il est revenu pour y mourir. En réalité, il n’avait jamais vraiment abandonné Bâle, se contentant lors du tumulte de la Réforme de s’installer à proximité dans la ville catholique de Fribourg en Brisgau, en attendant que la situation s’améliore.
Le fin lettré est aussi un fin théologien. En 1516, à Bâle, il fait imprimer le Nouveau Testament grec, en opposition à la Vulgate latine qui fourmille d’erreurs. Il recueille autant de succès que de ressentiments. A Louvain, les théologiens conservateurs lui sont hostiles. Ils goûtent peu ces humanistes hellénistes et hébraïsants partisans du recours direct à l’Evangile. Erasme n’est il pas en train de saper lui aussi les fondations de l’Eglise comme ce Luther qui rêva un temps d’enrôler Erasme sous sa bannière ? Ils s’opposeront et même violemment. Sur le plan théologique d’abord. En 1524, Erasme dans son essai sur le libre arbitre (De libero arbitrio) pourfend les thèses de Luther en défendant la possibilité pour l’homme de collaborer avec Dieu dans son propre salut sans opposer les oeuvres et la foi. Ce qui lui vaut, en 1525, une réponse cinglante de Luther, le de servo arbitrio, qui lui oppose la thèse de la totale passivité de l’homme dans les mains de Dieu, seul dispensateur de la grâce et aux oeuvres toute l’austère rigueur de la foi seule, sola fide. Erasme a choisi son camp : critique vis a vis de l’église mais pas en dehors d’elle. Il habite désormais Fribourg mais continue de publier à Bâle. En 1526, voici une nouvelle édition des Colloques, autre oeuvre récurrente comme les Adages, régulièrement enrichis, à la fois journal de bord, état des idées politiques, pédagogiques, économiques et social de l’auteur, et en même temps, véritable comédie humaine où apparaissent des personnages de toute condition. S’y côtoient les sages et les fous, les femmes honnêtes et les courtisanes, les moines pieux et les ignares, les adolescents fringants et les vieillards édentés, fanfarons et gens modestes. La forme utilisée est le dialogue, un dialogue qui nuance, une pensée aux aguets, jamais satisfaite, toujours en mouvement, celle d’un homme qui n’est pas celui d’une seule idéologie, d’une seule philosophie; « ce qui ne peut manquer écrit Daniel Menager ( Erasme,1992,219-220) d’inquiéter les orthodoxes de tout bord, mais fait de lui le plus vivant des écrivains. Lire : Les hommes font aujourd’hui…, Erasme, 1992, 213)
La publication du Cicéronien (Dialogus Ciceronianus) en 1528 qui s’en prend à l’imitation servile des anciens lui vaudra quelques détracteurs supplémentaires. Mais les années passées à Fribourg ont un peu rogné ses ailes. Quelque chose a changé. Il songe à la mort et préfère désormais approfondir les dogmes plutôt que d’en dénoncer les abus : un essai sur la Concorde de l’église, l’Ecclesiastes (ou l’art du prédicateur), un commentaire du psaume 14 sur la Pureté de l’Eglise du Christ et une Préparation à la mort, datée de 1534, sont ses dernières oeuvres. Il revient à Bâle, ville désormais apaisée, en juin 1535. Il est logé dans une belle demeure près de la cathédrale, retrouve ses amis, en pleure d’autres, disparus, perd ses forces et sa santé, et meurt le 12 juillet 1536. Lui, le prêtre catholique, repose désormais dans la cathédrale protestante de Bâle, dernier pied de nez à l’histoire.
Mais qui donc est vraiment Erasme ?
Nous le cernons désormais un peu mieux. Nous pouvons davantage le situer dans l’espace et dans le temps, nous avons effleuré sans les analyser ses oeuvres, nous pressentons son importance mais le connaissons-nous vraiment ?
Dieu sait que beaucoup de monde ont, ou ont eu, une opinion sur lui. Tranchée le plus souvent. Longtemps après sa mort, on en a fait le « prince des humanistes » et plus récemment encore le « précepteur de l’Europe » (Jean-Claude Margolin). Il a connu les appréciations les plus dithyrambiques comme les épithètes les plus vulgaires. En voici un florilège : Gladiateur de la République des lettres, soldat du Christ, enfant terrible de l’église, ami du peuple, militant de la paix, honneur de l’Allemagne, Socrate allemand, Lucien Batave, Voltaire du XVIe siècle, précurseur et initiateur de l’esprit moderne, illustrissime théologien plein de sagesse, mais aussi : rat errant, anguille tortueuse, faune lubrique. Pour tel, il a l’oeil voilé par la paupière légèrement hypocrite, pour tel autre, « il est superstitieux, avare et amateur de jolies femmes ». On s’est gaussé de ses « passages lascifs, de sa déplaisante mendicité, de sa vie nomade et agitée ». On s’est interrogé- n’était-il pas prêtre- sur une possible homosexualité. Comme vous le voyez, beaucoup ont une opinion sur Erasme.
Certes sa personnalité n’est pas univoque. Il y a une complexité érasmienne. Il ne se laisse pas appréhender facilement, il garde ses distances et ses mystères, on dirait même qu’il est plein de pudeurs et de coquetteries. Bref, il apparait bien souvent contradictoire, séduit et agace en même temps. Orgueilleuse, en première lecture, est sa devise Nulli concedo (je ne cède à personne). Aurait-il un compte à régler ? A-t-il seulement un nom ? On sait que son père s’appelait Roger Gerard (Geert en hollandais) et que sa mère, fille de médecin et veuve avait pour prénom Margaretha. Il se baptisera lui-même, si je puis dire, bien plus tard, après avoir appris le grec et le latin, en jouant sur les mots : Geert signifiant en néerlandais le désiré, il le traduit en latin par Desiderius et y ajoute Erasmus qui veut dire «aimé» en grec (Erasmos) ainsi que Roterodamus pour rappeler son origine. Aimer, être aimé : n’est-ce pas ce qui lui aura manqué le plus dans sa plus tendre jeunesse, n’est ce pas aussi sa quête perpétuelle toute sa vie ?
Mais Erasme ne se livre pas comme cela. Il donne à voir ce qu’il a envie de donner à voir. On dirait aujourd’hui qu’il maitrise parfaitement son image. De profil, tout en retenue, concentré sur sa tâche. Regardez les portraits que nous conservons de lui. Ceux de son contemporain et compatriote Quentin Metsys, la gravure de Dürer et les portraits d’un Erasme déjà vieillissant d’Holbein le jeune. Qu’ont-ils de commun sinon de le représenter à sa table, entouré de ses livres, en train de lire et d’écrire. C’est une mise en scène ou en espace, l’exaltation de l’intellectuel dans son cadre de vie. Avec un aveu, que l’on trouve sur la gravure de Dürer où l’on peut lire en belles lettres grecques : « ses écrits le montreront mieux ». Combien cela est vrai ! Sur la peinture de Holbein, où il pose tel un monument, voilà encore une allusion aux travaux d’Hercule, travaux auxquels il assimile volontiers son immense travail et labeur.
Il se dérobe, tout en livrant quelques indices. Ne trouvez-vous pas qu’il est toujours chaudement habillé ? C’est que « ce petit homme frêle, égrotant et propret » ( Lucien Fèvre) est de santé fragile, en proie toute sa vie à des maux d’estomac, à la gravelle, aux accès de la fièvre quarte (fièvre intermittente où les épisodes d’hyperthermie réapparaissent le 4e jour), à la terrible suette anglaise (apparue en Angleterre au XVIe siècle, où des périodes de sudation importantes avec des phases froides se traduisant, en outre, par des maux de têtes douloureux, des palpitations et débouchant sur un état d’épuisement général), aux crises de goutte ne supportant pas le poisson ce qui était fort fâcheux en temps de carême, convaincu, jeune encore, qu’il allait mourir bientôt et que l’on crut mort plusieurs fois, enfant malingre autrefois et adulte valétudinaire toute sa vie, tributaire de son corps chétif qu’il appelait corpuscule, faible dans son corps comme l’apôtre Paul, son apôtre de prédilection, bref un homme précaire qui semble avoir fait de sa précarité un mode de vie. Agé de moins de quarante ans, durant l’été 1507, le voilà submergé par la mélancolie, il s’interroge sur son existence passée, regrette les bagatelles auxquelles autrefois il s’ abandonna, et sur le ton d’une douce amertume écrit une Ode de la vieillesse. (Lire l’Ode de la vieillesse, Erasme, traduction Margolin).
Son état de santé a indéniablement eu des répercussions sur son caractère. La vie l’a changé mais « il n’a pas changé du tout au tout -écrit Léon Halkin, un de ses meilleurs connaisseurs- Il est marqué d’abord par ses origines et par sa pauvreté ; la gloire vient ensuite, et l’aisance, enfin l’échec relatif de ses projets, l’amertume puis l’apaisement des dernières années ». Ne faisons pas de la connaissance de son caractère un préalable ou absolu. Contentons-nous d’observer que sa psychologie révèle une sorte d’affectivité anxieuse que traduisent textes et comportement, que la mélancolie qui en est une composante est certes un obstacle mais surmontable. ( cf. Ode à la vieillesse )
« Ses écrits le montreront mieux » écrivait ou peignait Durer. C’est donc vers ses oeuvres et sa correspondance immense qu’il faut se tourner pour le définir mieux encore. Mais au fait, lui-même n’a-t-il pas une opinion sur ce qu’il voulait être ou ce qu’il fit. Voilà comment il se définit en 1526, dix ans avant sa mort : « Quant à moi, on ne peut le nier, j’ai favorisé l’étude des langues anciennes et des belles lettres. La théologie scolastique, dégradée par les subtilités des sophistes, je l’ai ramenée aux sources des livres saints et à l’étude des meilleurs théologiens de l’Eglise ancienne. Je me suis efforcé de réveiller le monde endormi dans les cérémonies pharisaïques pour le conduire à la vrai piété ». Ajoutez y son combat incessant pour la paix, et vous aurez une très belle synthèse sur ce que fut l’Erasmisme (Léon E. Halkin) et peut être aurez-vous aussi une réponse à cette lancinante question : mais qui est donc le véritable Erasme ?
Erasme : un écrivain humaniste
On l’a consacré prince des humanistes, autrement dit le premier d’un mouvement qui partant de l’Italie au XIV-XV°siècle va conquérir une grande partie de l’Europe jusqu’au XVIe siècle. De l’humanisme, je vous livrerai la définition d’un des meilleurs spécialiste s en France, le regretté Jean-Claude Margolin par ailleurs grand connaisseur d’Erasme : « Mouvement intellectuel et culturel caractéristique de la Renaissance, qui est parti de l’Italie et qui a ouvert la voie à une transformation de la vision du monde, à un renouvellement des modes et des types de connaissance, à un élargissement des sources d’inspiration littéraire et artistique, à une refonte de la pédagogie, à une critique libératrice des traditions et des institutions, à une image nouvelle de l’homme ». Tout y est ou presque. Autrement, dit l’humanisme c’est une réaction, une rupture par rapport à une pensée dominante, la scolastique, un système logique philosophique, inspiré d’Aristote, recyclé par l’église et notamment dans les universités italiennes par les ordres mendiants, où la dialectique était devenue plus important que la grammaire et la rhétorique dans le fameux trivium, les trois disciplines de base de l’enseignement médiéval.
Revenir aux sources, c’est retrouver le beau langage, les belles lettres, l’esthétique de la littérature antique. Mais l’humanisme c’est aussi une discipline scientifique, celle de la critique des textes qui passe par la recherche des originaux et la connaissance des langues anciennes. Bref, c’est un métier : celui de philologue.
Erasme s’inscrit pleinement dans cette démarche. Amoureux des belles lettres, il exalte les bonae litterae. Bonnes parce que belles, parce qu’elles permettent d’enseigner en même temps les bonnes moeurs. Rien ne remplace un texte lu dans sa langue d’origine : « Il est plus délectable le fruit que tu as cueilli de tes mains à l’arbre qui le portait. Elle est plus douce l’onde que tu as puisée à la source et plus agréable le vin tiré au tonneau. De même les textes sacrés ont une sorte de parfum naturel, ils exhalent un parfum intime quand on les lit dans la langue où ils ont été écrits jadis. »
Erasme n’ignore rien des auteurs classiques. Il les aura pratiqué toute sa vie avec gourmandise. Il est familier des Grecs : Platon, Aristote, Lucien de Samosate, Plutarque, Diogène Laërce, Demosthène et Hérodote. Il est intime des auteurs latins : Quintillien, Cicéron, Cesar, Virgile, Horace et Ovide sans oublier Sénèque. Il n’est pas dédaigneux des auteurs du quattrocento et notamment de Lorenzo Valla, esprit fraterne qui lui mit en quelque sorte le pied à l’étrier et lui a montré la voie. Valla aimait les belles lettres et pratiquait la critique des textes, annotant notamment l’Ancien Testament qui l’éloignait de plus en plus de la Vulgate.
Erasme baigne dans le latin dont il est expert, utilise le grec. L’hébreu, il l’a abordé trop tard pour le maîtriser pleinement. C’est un excellent écrivain qui s’est libéré de l’onction ecclésiastique comme de la pesanteur pédagogique. Il unit « la grâce du discours » à « l’universelle connaissance des choses » comme le dit l’un de ses contemporains. Il est aussi à l’aise dans la poésie religieuse que dans la prose satirique. Ah, l’admirable Eloge de la Folie ! (Lire Eloge de la Folie in Erasme 1992,14-15) Il excelle dans la dissertation, le dialogue et la lettre. Virtuose de tous les procédés stylistiques, il a le mérite d’être toujours clair. C’est que sa pensée l’est autant que son style. Si son oeuvre écrite plaide pour lui, ce sont ses lettres – il est un correspondant compulsif – qui le dévoilent et révèlent toute l’étendue de son génie de sa profonde humanité, de son étonnante proximité. Voici un exemple auquel je n’ai pu résister :
« A Bâle, j’ai eu l’occasion de boire du vin de Bourgogne. A la première lampée, il n’était pas tellement agréable au palais mais tout à coup mon estomac s’est trouvé vivifié et je me suis senti un autre homme. J’avais déjà bu auparavant du vin de Bourgogne mais plus chaud et plus sec. Celui-ci était d’une couleur très agréable, d’un rouge vif, d’une saveur ni sucrée, ni sèche, mais moelleux, et si doux à l’estomac, que même bu en abondance, il ne faisait pas de mal. Heureuse Bourgogne qui mérite bien d’être appelée la mère des hommes, toi qui portes dans tes mamelles un pareil lait ». Bâle, 1er février 1523, lettre à Marc Laurin)
Un chrétien engagé
Il ne vous aura pas échappé qu’Erasme fut moine augustin pendant quelques années et qu’il resta prêtre toute sa vie. Il demeura dans l’église qu’il ne cessa de malmener. Sait-on qu’au soir de sa vie, le pape lui offrit même le chapeau de cardinal qu’il refusa ? Sa doctrine porte un nom : la philosophie du Christ.C’est une synthèse entre la théologie et la spiritualité, entre la connaissance et l’amour, nourrie par la méditation et la prière, débouchant sur l’union à Dieu, se traduisant par un retour aux sources et une approche personnelle de l’évangile.
Bien dans la ligne de l’humaniste philologue et l’adepte de la devotio moderna. « La philosophie du christ se réfugie dans les élans du coeur, et non sous les syllogismes écrit Erasme, elle est une vie, elle n’est pas l’objet de savantes discussions ». Cette sagesse divine n’est pas qu’intellectuelle, elle rend Dieu sensible au coeur. Par la force et la peur, nous essayons de faire croire aux hommes -écrit-il- ce qu’ils ne croient pas, de leur faire aimer ce qu’ils n’aiment pas, de les forcer à comprendre ce qu’ils ne comprennent pas. La contrainte ne peut s’unir à la sincérité et le Christ n’accepte que le don volontaire de nos âmes ». Erasme ne remet en cause aucun dogme, il croit ce que croit l’Eglise mais il rêve d’une religion moins crispée, plus proche de l’esprit des béatitudes que des injonctions du décalogue. Il n’est ni fanatique, ni triomphaliste, mais à la recherche perpétuelle d’une troisième voie qui aurait permis d’éviter la radicalité de la Réforme et l’intransigeance de la Contre-Réforme. Il préfère la concorde à l’anathème malgré les apparences.
C’est vrai qu’il n’est jamais aussi véhément que lorsqu’il dénonce une religion devenue pharisaïque, un cléricalisme étouffant, une piété formaliste et superstitieuse. Que demande-t-il sinon un changement d’esprit, un retour au christianisme primitif qui rassemble plus qu’il n’exclue, une réforme des institutions, une rénovation de la science théologique par un retour aux sources, c’est-à-dire aux écrits fondateurs dans leur langue d’origine ( cf. traduction du nouveau testament en 1516). Le philologue n’est-il pas le compagnon naturel du théologien ?
Bref, il s’est montré tolérant et oecuménique dans une période où il fallait choisir son camp. Il a irrité tout le monde et son irénisme de même que sa tolérance sont passés aux yeux de ses contemporains soit pour de la traitrise, soit pour de la lâcheté. Les dégâts pour lui-même furent importants : malmené par ses confrères, censuré par la Sorbonne et menacé par l’inquisition. Dès 1547, ses livres sont brûlés à Milan. A partir de 1559, ils seront mis à l’index pour trois siècles. C’est finalement cher payé pour quelqu’un qui s’est battu véhémentement pour sauver l’église d’un nouveau schisme.
Pédagogue avant tout
Erasme eut un souci constant de l’éducation de la jeunesse et des adultes. Lui qui n’enseignait pas directement fut un théoricien actif de la pédagogie. Tout tourne autour d’elle dans les correspondances comme dans ses Adages et Colloques. Ne parlons pas des livres dédiés comme le Manuel du soldat chrétien ou l’Institution du prince chrétien. Mélange de fermeté et de douceur qui laisse s’exprimer ses élèves, sa pédagogie est fondée sur la liberté. Erasme reconnaît en chaque individu la capacité de l’homme libre à disposer librement de sa raison et de son pouvoir d’affirmation.
Il sait l’homme artisan de son propre destin. Qui ne connait le propos d’Erasme «Les hommes ne naissent pas homme, ils le deviennent (Homines non nascuntur, sed funguntur) ? C’est la raison qui fait l’homme (Ratio facit hominem). « La grande idée écrit Jean-Claude Margolin qui commande non seulement à la psychopédagogie d’Erasme, mais à toute son anthropologie, c’est que l’homme à la différence de toutes les autres espèces naturelles et vivantes, végétales ou animales, n’est pas constitué en tant qu’homme dès sa naissance ». Autrement dit, notre avenir d’homme est commandé par la formation intellectuelle, affective, morale et même physique. Raison supplémentaire pour faire de l’éducation une priorité. L’ignorance pour Erasme est l’une des formes les plus dangereuses de la barbarie. Raison de plus aussi pour commencer l’éducation le plus tôt possible.
Cette qualité pédagogique lui a toujours été reconnue. Elle lui assure une part essentielle de sa gloire. Il est lu aux quatre coins de l’Europe et continuera à l’être après sa mort. Sous le manteau, le plus souvent, par les libraires et les jésuites notamment malgré les interdits. Les premiers ont bravé ces derniers aux risques de confiscation, d’amendes et de prison, pour conserver quelques exemplaires de ses oeuvres, les seconds, malgré leur fidélité, à Rome, ont continué à le lire et à se servir de ses livres pour leur enseignement. Probablement ne nait-on pas jésuite non plus mais on le devient… Il a fini, pour reprendre le beau titre de Jean-Claude Margolin, par devenir « le précepteur de l’Europe ». L’Allemagne luthérienne comme plus tard l’Allemagne de l’Aufklärung continueront à s’en inspirer. De même que les libertins français au XVIIIe s. Il sera même enrôlé sous l’étendard de la pensée libérale au XIXe siècle aux Etats-Unis. Le programme européen d’échange universitaire porte aujourd’hui son nom. Point d’allusion à la pédagogie sans faire référence à Erasme, « le maître à vivre ».
Le pacifisme d’Erasme
En des temps belliqueux où l’on s’étripe pour des idées, des religions et des nations, Erasme se distingue par un pacifisme constant et ouvertement proclamé. Ne cherchons pas les causes ailleurs que dans sa fidélité à l’évangile et à l’amour fraternel qui en découle. Par définition, un chrétien, en référence au message évangélique, ne peut se ranger du coté des belligérants. Le soldat du Christ selon Erasme est un militant de la paix et un défenseur de la liberté. La paix est un effet naturel de la charité. Le christ n’est-il pas le prince de la paix, l’évangile, aux yeux de l’apôtre Paul dont Erasme se sent tellement proche, l’évangile de la paix et l’injonction « paix sur la terre » une parole divine ?
L’humaniste qui connait l’homme et ses faiblesses n’est pas dupe. Il sait que son pacifisme est une utopie et que la réussite est rarement au bout. Il n’a pas ménagé sa peine, conseillé les princes et les ministres en leur faisant comprendre que la guerre dévore la campagne, détruit les villes, épuise les finances et déstabilise les états. Bien sûr qu’il aura échoué et que, l’âge venant, il en tirera une forme d’amertume, celle que l’on ressent face à l’échec. « Je ne peux qu’exprimer des voeux, regrette-t-il, rien de plus ». Bien sûr que Machiavel aura été, en son temps, beaucoup plus efficace et davantage suivi, mais Erasme persiste et signe. N’oublions pas qu’il est un théologien pour lequel la quête perpétuelle de la paix est peut être un projet trop exigeant pour être réalisé en ce bas monde mais un idéal toujours stimulant pour inviter l’homme à s’élever. La théologie de la paix fait se rencontrer, en outre, la misère de l’homme et l’infinie miséricorde divine. Pour sauver la paix, il ne connait qu’une recette : changer le coeur de l’homme. C’est là un travail éducatif et nous revoilà en terre connue, celle du pédagogue.
On l’aura compris, Erasme est plus attaché aux êtres qu’aux institutions. Il se sent bien dans les pays qu’il traverse : «ubi bene, ibi patria». Son patriotisme est à échelle variable et progressive : le pays natal d’abord, la patrie d’accueil ensuite, puis le monde chrétien et la république des lettres qui n’ont pas de frontière soit enfin l’humanité toute entière en attendant la patrie céleste : « Pour ceux qui se consacrent aux lettres, il est peu d’importance d’appartenir à un pays ou à un autre. Tout homme qui a été initié au culte des muses est mon compatriote » avait-il écrit. Inspiré par saint Augustin pour qui le chrétien est « un étranger qui n’a pas ici de demeure permanente », Erasme dira de même : « Je voudrais être citoyen du monde, compatriote de tous ou plutôt étranger à tous. Puissé-je enfin devenir citoyen de la cité du ciel.»
L’héritage d’Erasme
A le lire, à le fréquenter un peu, à le découvrir même, Erasme nous soumet à une tentation naturelle : celle de le récupérer, de l’annexer, de lui trouver surtout une singulière modernité. Erasme devient quasiment un homme de notre temps. N’a-t-on pas écrit, par exemple, que le concile Vatican II, il y a cinquante ans, était le premier concile érasmien ? On y retrouve effectivement beaucoup de ses idées mais… Avant d’en dire à notre tour (un peu) l’actualité, nous qui sommes en perpétuelle recherche de recettes et de références, j’aimerais insister (beaucoup) sur le fait qu’Erasme est d’abord un homme de son temps : soit le quinzième et le seizième siècle. Il faut donc avant que de se l’accaparer sans cesse le « contextualiser ». L’homme du Moyen-Age finissant, l’homme de la Renaissance n’est pas d’abord notre contemporain. Nous avons bien du mal à entrer dans sa peau et dans son univers mental. Ne regardons pas Erasme avec nos yeux d’aujourd’hui, ne portons pas sur lui des schémas actuels de pensée ou de représentations qui sont totalement anachroniques.
Ainsi dans le domaine des arts, il reste le fils spirituel de la dévotion moderne, plus sensible à la valeur éthique ou pédagogique qu’à sa charge d’émotion esthétique. il distingue la musique charnelle de la musique spirituelle, dénonce dans les églises et ailleurs, les vacarmes des tambourins qui excitent les humains à la rage et aux folles passions. Il s’emporte contre les moeurs musicales modernes, l’obscénité des paroles des chansons lascives, oppose l’intelligence chrétienne de la musique au brouhaha musical des polyphonies qui désormais envahissent les églises. S’il fait l’éloge du peintre Albert Durer qui fit son portrait, il condamne plus généralement et parfois véhémentement l’immoralité des peintures, italiennes surtout, qui multiplient les scènes de débauche, d’amours profanes et de choquantes nudités. Il préférera toujours l’oeuvre écrite à l’oeuvre jouée, chantée ou représentée. La peinture comme le chant éloigne des belles lettres. S’il ne s’y oppose pas toujours, il ne les encourages pas spécialement. Ce qu’il pense du chant, il le pense pour toutes les manifestations et expressions artistiques : « Chantons les psaumes en esprit, mais chantons-les en chrétiens. Chantons avec retenue, mais chantons-les plutôt en intelligence. Exprimons-nous dans les diverses langues, mais avec une certaine modération, prophétisons avec plus d’ardeur.» (Erasme et les Arts, in : Erasme, 1992, p.394-423 )
Malgré son désir d’être aimé n’en faisons pas un saint. Il était loin de l’être. Si nous devions avec nos loupes contemporaines le juger, nous devrions nous interroger sur son antisémitisme ou plutôt son antijudaïsme qu’un historien juif, Simon Markirch, a atténué en asimétisme – étranger au problème juif- ou sur son silence lors de la Guerre des Paysans où en Alsace, en 1525, on a massacré 25 000 rustauds sans qu’un humaniste dûment estampillé et il y en eut des dizaines fort érudits et bien renseignés, ne levassent le petit doigt. Il y a au moins deux hommes contradictoires en lui, comme d’ailleurs chez son maitre, l’apôtre Paul. « D’un côté un intellectuel parfois douillet, soucieux de son confort et imbu de principes d’ordre qui s’imposent de plus en plus aux humanistes eux même et un autre homme qui s’inquiète peut-être du conformisme du premier, cherche la liberté dans de fréquents voyages et pense qu’on en peut pas faire l’économie de l’expérience, celle-ci dût elle faire perdre du temps et de l’argent ». ( Daniel Ménager, Erasme 1992, 218).
Erasme continue autant à diviser qu’il ne réunit. Une thèse récente de Marie Barral Baron, soutenue à Genève en 2009, pose la question s’il ne s’est pas simplement fourvoyé en revenant aux sources du christianisme et en négligeant l’apport du Moyen Age et de la tradition ecclésiastique qui garantit la solidité de l’édifice chrétien. N’a-t-il pas par là, de manière involontaire, favorisé la rupture d’une unité chrétienne à laquelle il tient tant ?
Mais voilà, Erasme est toujours là. Son ami anglais John Colet avait prédit « Le nom d’Erasme ne périra jamais ». « Abeille laborieuse et témoin engagé » (Jean-Claude Margolin), éducateur invétéré dont la pédagogie n’a pas vieilli, combattant de la paix, défenseur de la liberté et de la dignité de l’homme, homme de concorde et de tolérance tenant moins compte de ce qui divise que des valeurs qui unissent, homme de foi et d’espérance, pourfendeur des imbéciles et des barbares de tout poil, Erasme même si on lui résiste a encore des choses à nous dire. Et son visage subitement s’illumine d’un regard complice. Allez, il est peut-être quand même de notre temps aussi, ce maitre à vivre et même à penser. Lisez-le, sans modération. « Mais il ne faudrait pas qu’il devienne trop consensuel, Dame folie n’aimerait pas cela ! (Daniel Menager).»
Bibliographie sommaire
Erasme, (Eloge de la folie, Adages, Colloques, Réflexions sur l’art, l’éducation, la religion, la guerre, la philosophie, Correspondance, Edition établie par Claude Blum, André Godin, Jean-Claude Margolin et Daniel Ménager, Bouquins, Robert Laffont, 1992.
Halkin (Léon), Erasme, Paris, Fayard, 1987.
Huizinga (Johannes), Erasme, Paris, Gallimard, 1955
Margolin (Jean-Claude), Erasme par lui-même, Paris, Seuil, 1965
Margolin (Jean-Claude), Erasme, une abeille laborieuse, un témoin engagé, Caen, 1993.
Margolin (Jean-Claude), Erasme précepteur de l’Europe, Paris, Juillard, 1995
Margolin (Jean-Claude), Notice Erasme, Encyclopédie Universalis
Ménager (Daniel), Erasme, Paris, 2003
Gabriel Braeuner, texte de conférence, 2013,2015