Il a pignon sur rue, à Sélestat, « notre » saint Georges. Il est même devenu le patron de l’école paroissiale au cours du XVe siècle. Personnage historique autant que légendaire, il fait partie des saints particulièrement vénérés au Moyen Age. Comme saint michel, l’archange, il terrassa un dragon, incarnation absolue du mal et du péché. L’église Saint-Georges possède en son coeur un admirable vitrail contemporain réalisé par le très talentueux maitre verrier Max Ingrand à la fin des années 60. A voir ou à redécouvrir.
saint Georges à Sélestat
Saint Georges est un saint étonnant. On le connaît un peu par l’histoire, on le connaît davantage par sa légende. Il est l’un de nos saints les plus vénérés, à l’égal de saint Martin qui cumule, en Europe, le patronage des églises. On sait qu’il fut valeureux. On n’est pas pour rien le patron des chevaliers. Brave oui, mais téméraire au point de détrôner la Vierge Souveraine à Sélestat, on ne s’y attendait pas. On dira que c’est osé. Pendant des siècles, l’église paroissiale de Sélestat était dédiée à Notre Dame. Puis à la fin du Moyen Age, au XVe siècle, sans doute, sans qu’on sache vraiment ni quand ni pourquoi, elle fut dessaisie au profit du preux chevalier dont on raconte qu’il terrassa un jour un épouvantable dragon, qui ressemblait probablement à celui que chevauche Daenerys Targaryen dans Game of Thrones.
Pourquoi à Sélestat préféra-t-on la mâle attitude d’un chevalier à la rassurante présence protectrice de la mère du Christ ? On remit cela un siècle plus tard quand fut édifiée la belle chaire dont la cuve est portée par Sansom, autre mâle puissant avant que Dalila se décidât à lui couper les cheveux. Au moment du « putsch », le reine des cieux ne donna guère l’impression de s’accrocher à son siège. Elle acquiesça et consentit à s’effacer. Il est vrai qu’elle avait l’habitude de ces intrusions violentes. L’archange Gabriel, jadis déja… Mais qu’on se rassure, Marie a du souffle , c’est une coureuse de fond, elle reviendra.
Mais qui est ce Georges qui apparaît sur la scène locale? Pour l’histoire, il est né en Cappadoce vers 275-80 et mourut martyr, le 23 avril 303, sous l’empereur Dioclétien. Son père était un noble arménien, sa mère était originaire de Palestine. Quand son père mourut, sa mère revint en Judée, dans la région de Lydda ( Lod, en Israel ). A quinze ans, il entre dans l’armée romaine, est remarqué par Dioclétien qui le fait chevalier et même chef de sa garde personnelle. Grâce à ses aptitudes militaires et à ses origines, il obtint le commandement des régions sensibles comme la Syrie, la Palestine, l’Egypte et la Libye. Il fut même élevé au rang de préfet. Quand l’empereur reprit la persécution des chrétiens, en 303, Georges s’opposa à lui, démissionna de son poste, entra en dissidence à côté des chrétiens avant d’être arrêté pour avoir, à Nicodémie, détruit une tablette sur laquelle figurait l’édit obligeant la population à s’adonner au culte d’ Apollon.
Arrêté, il est soumis à une série de supplices dont il survit miraculeusement avant d’être décapité. Il est enterré à Lydda « où il avait vaincu le dragon ». Son culte se répandit dans tout le Proche Orient puis, plus tard, dans l’Europe chrétienne. Le roi Clovis le promut, les croisades le rendirent populaire, il devint le patron de l’ordre du temple, de l’ordre teutonique, de l’ordre de la Jarretière également appelé ordre de Saint-Georges. La Légende dorée (XIIIe s.) qui raconte, en l’embellissant, la vie d’environ 150 saints, du dominicain Jacques de Voragine, archevêque de Gênes, assure sa gloire et sa légende dont les artistes s’emparent. Au XIIIe siècle, il rejoint la cohorte des Saints Auxiliaires qu’on invoque lors des grandes épidémies. Son audience s’élargit encore. Nos voisins de Fribourg en Brisgau en font leur saint patron, tout comme le Royaume Uni ou plus récemment les scouts… L’armée l’a récupéré depuis longtemps. « Et par saint Georges » est la devise de l’armée blindée et de la cavalerie française. Il en va de même chez nos voisins suisses.
Finalement, il ne dépare pas dans la bonne ville de Sélestat.
Le dragon de saint Georges
Il a beau être martyr, ses attributs le désignent non pas par la palme et le supplice du martyr, mais juché sur un cheval et terrassant un dragon. Cette image est quasi figée depuis le XIIIe siècle quand fut rédigée la Légende dorée. Georges de Lydda, officier de l’armée romaine, traversa un jour la ville de Silène, en proie à la terreur. Elle était persécutée par un dragon qui non seulement dévorait tous les animaux de la contrée mais exigeait qu’on lui livrât chaque jour, deux jeunes gens tirés au sort. Celui-ci tomba sur la fille du roi, le jour où Georges entra en ville. Il promit de la délivrer et engagea un féroce combat avec le monstre qu’il transperça d’un coup de lance avec l’aide du Christ et après un signe de croix. La princesse fut délivrée et le dragon amadoué la suivit comme un chien fidèle. La foule resta cependant tétanisée à la vue du dragon que Georges finit par occire par l’épée.
La légende a fini par l’emporter sur l’histoire. Le dragon était probablement un brigand de grand chemin qui terrorisait et rançonnait les habitants de Lydda. On connaît même son nom : Naphr ! Mais que pèse l’histoire face à l’impact de la légende ? Dans l’édification du chrétien, elle est autrement plus efficace : le dragon est une allégorie de Satan, autrement dit du Mal. Dans son imaginaire, enfin, il est suffisamment monstrueux pour nourrir les angoisses du pécheur face à son salut.
Petite indication à ceux qui auraient tendance, devant une statue ou une peinture, à confondre saint Georges et saint Michel, qui lui aussi terrassa un dragon : Michel n’a pas de monture, il porte des ailes !
Le vitrail de Max ingrand
Dans le très beau jeu des vitraux de l’église paroissiale réalisé par Max Ingrand dans les années soixante, qui complète les vitraux d’origine du XVe siècle, saint Georges a trouvé sa place et il est à sa place. Soit à la droite de la Vierge (à gauche dans le choeur) et en face de saint Michel, autrement dit du coté nord du choeur dont le vitrail principal, celui du chevet, est entièrement consacré à la Vierge. Comme quoi tout est rentré dans l’ordre. Marie a retrouvé sa primauté et la hiérarchie a repris ses droits.
Le cycle de saint-Georges est un vitrail contemporain. Il s’inspire de la Légende dorée et, en seize panneaux, narre l’essentiel de la vie de saint Georges enrichie par la légende : Il apparaît sous les traits d’un chevalier. Un dragon ravage les alentours de la ville de Silène, la fille du roi est désignée pour servir de prochaine victime de la bête, elle croise le chevalier qui s’engage à la sauver, celui-ci blesse le dragon, la jeune femme passe sa ceinture autour de son cou avant que Georges achève la bête. Le chevalier convertit le roi, se dépouille de ses armes pour vêtir le manteau des chrétiens. Il refuse d’adorer les dieux païens, on le soumet au supplice, Dieu lui apparaît dans le cachot où il a été jeté. Georges échappe au poison du magicien, survit à la chaudière de plomb fondu et renverse les idoles du temple avant d’être décapité.
La qualité esthétique du travail réalisé par le maitre verrier Max Ingrand est, comme nous l’avons déjà souligné dans une précédente chronique, tout à fait admirable. Il est à la fois fidèle à la tradition et moderne dans son expression. Le panneau consacré à la vie de saint Georges le confirme une fois encore
Pour en savoir plus :
La Légende dorée de Jacques de Voragine, 2t., Flammarion 1999
Georges Daix, Dictionnaire des saints, Lattès, 1996
Reclams Lexikon der heiligen und der biblischen Gestalten, Stuttgart, 1984
Biographisch-bibliographisches Kirchenlexikon(BBKL). Band 2, Bautz, Hamm 1990,
Sept siècles de vitraux, Eglise Saint-Georges de Sélestat, Sélestat 2010
Gabriel Braeuner, DNA Sélestat, 12 octobre 2019, extrait de la rubrique Ces hommes et ces femmes qui ont fait l’histoire de Sélestat