Son nom suggère son origine. Il reste l’un de nos « illustres » inconnus. Rabbin à Strasbourg sans qu’il apparaisse dans l’Urkundenbuch de la ville. Un rabbin érudit auteur d’un abrégé du Mordhekai, vaste commentaire du Talmud, qu’au XIIIe siècle avait entrepris Rabbi Mordekhay ben Hillel de Nuremberg.
L’essentiel du travail de Samuel, qui serait né vers 1309, avait été rédigé, au XIVe siècle au château du Hohlandsbourg non loin de Colmar. Que diable notre Sélestadien allait-il faire dans cet imposant château de Haute-Alsace ? S’y réfugier pour fuir Strasbourg où il avait quelques ennuis. Un tribunal, qu’il avait présidé, avait condamné à mort deux coreligionnaires délateurs au service de chevaliers bandits qui dépouillaient, entre autres, des marchands juifs. En exécution de la sentence, l’un des traîtres fut noyé. Les sires d’Andlau, car c’étaient eux les pillards, n’apprécièrent guère. Il décidèrent de s’en prendre à Samuel Schlettstadt.
Celui fut menacé puis poursuivi. Il quitta l’Alsace pour trouver refuge auprès de ses coreligionnaires de Spire, Worms et Mayence. Il poussa même jusqu’ à Erfurt. En vain! La lassitude le gagna. Il songea à retourner à Strasbourg. N’était il pas innocent ? N’avait-il pas fait son devoir en tentant de protéger les siens ? Mais Strasbourg, où il avait officié, par crainte de représailles ne voulut pas de lui.
Alors il s’en fut, loin, très loin. Pour laver son honneur, il quitta l’Europe et se rendit à Bagdad, oui Bagdad , l’ancienne capitale des Abbassides, sur les bords du Tigre. Pourquoi si loin ? Parce que y vivaient le plus hautes autorités de la communauté juive de l’exil : Les exilarques ou chefs des exilés. Longtemps à Babylone, à Bagdad ensuite. Il faut s’imaginer ce que fut le périple de Samuel. Il s’y rendit au péril de sa vie. Convainquit les autorités de sa communauté de son innocence. Il en revint, échappant maintes fois aux vols, violences et à la mort. Il n’avait eu cesse de laver son honneur. Muni d’un sésame, établi par ses frères de Bagdad, qui vouait à la malédiction ceux qui s’opposaient à son retour.
C’est ce document qu’il voulait rapporter à Strasbourg. Aussi courageux qu’indigné, il débarqua dans la ville où il fut rabbin autrefois. S’il réussit à laver son honneur, le malheur ne l’épargna pas. Son fils, qui était allé à sa rencontre, se noya dans le Rhin.
Telle est l’histoire de Samuel Schlettstadt, homme de loi et de lettres. Originaire de notre ville où la communauté juive était présente depuis quelques temps avant les horribles persécutions de 1349. Les épisodes relatant sa vie se trouvent dans un manuscrit londonien , le Montefiore 130, qui fut, un temps, la propriété de Josselmann de Rosheim, l’avocat de juifs dans l’Europe de Charles-Quint, au XVIe siècle.
Quel destin que celui de Samuel Schlettstadt. Grâce à lui, le nom de Sélestat a été porté jusqu’au Moyen-Orient.
Pour en savoir plus:
Gerd MENTGEN, Geschichte der Juden in der mittelalterlichen Reichstadt Schlettstadt, Annuaire des Amis de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat, 1990.
Claude GENSBOURGER, Un coup d’oeil rétrospectif : la communauté israélite de Sélestat, ses origines, ses synagogues in : Cérémonie de consécration de la synagogue restaurée de Sélestat, 11 septembre 1960.
Gabriel BRAEUNER, Sélestat, Éloge de la belle inconnue, Editions du Tourneciel, 2016.
Gabriel Braeuner, extrait des DNA 9 novembre 2019, rubrique Ces Hommes et ces femmes qui ont fait l’histoire de Sélestat.